vendredi, février 16, 2007

Analyse des idées principales

Illumination.

« Par ton vouloir j’ai vu » : l’initié voit parce qu’il a reçu la Lumière. Le thème de la Lumière est récurrent dans l’hymne. La palingénésie est une illumination « Mon Intellect a été illuminé à plein ».

Cette Lumière est connaissance ( gnosis ). Elle est Esprit ( pneuma ). Elle est Aïon (éternité ). Elle est l’être même de Dieu et cet être de Dieu est Esprit.

Si Dieu est dans l’homme, c’est que l’homme a aspiré les puissances de dieu. Cette aspiration peut procéder de la magie ou de la théurgie en phase avec l’époque : c’est parce qu’il aspire une force, un souffle ou un fluide divin que le théurge échange son corps mortel pour un autre corps, immortel et lumineux. Dieu habite le myste comme un souffle qui le vivifie, une force qui le remplit de puissance surnaturelle.

La Lumière est Dieu. Dieu maintenant habite l’homme, est devenu l’œil spirituel de l’homme. Ainsi quand le myste loue Dieu, c’est dieu lui-même qui se loue. L’homme est une sorte de caisse de résonance. « Ton Verbe par moi te loue ».

La Connaissance-Lumière était une force divine dont Hermès avait reçu sa part. Il transmet cette force par le chant de l’hymne à Tat, qui devient apte à manifester cette lumière qui chante en lui. D’où la recommandation finale d’Hermès : « Ayant appris ceci de moi, promets-moi le silence sur la vertu de la révélation. ». Il faut garder le silence sur cette vertu car en la divulguant, en «la jetant en pâture à la foule », on risque de la dissiper. La force doit rester intacte, on la réserve aux seuls élus.

A travers les traditions, il est amplement démontré que l’homme porte en lui, de façon innée, l’archétype religieux. Le désir du profane de répondre à une sollicitation lui permettant de prendre une distance avec le monde matériel s’inscrit dans cette dynamique de rupture.
Le CH XIII apporte illustration d’une quête d’ordre mystique, du désir de rencontrer la Puissance divine par une voie non religieuse.

Nous ne sommes pas dans la voie d’une amélioration morale comme le sage stoïcien guidé par le Logos ou le sage du Timée qui harmonise ses idées avec l’ordre de l’univers ; ou encore le sage du Théétète qui s’identifie à dieu par une vie juste et pieuse que lui suggère son entendement. Dans la morale classique, la vertu est chose acquise, une manière d’être entretenue par l’habitude d’un continuel exercice. Notion courante chez les Stoïciens. Il n’est pas de morale sans éducation ou culture. Même une morale foncièrement religieuse comme celle des Pythagoriciens comporte des degrés dans la vertu, établit une hiérarchie parmi les disciples, depuis les acousticiens jusqu’à ceux « qui voient le Maître ». Le sage était uni à la Raison divine, il aspirait à devenir Dieu, à vivre avec Dieu : donc il n’était pas Dieu.

D’autre part, toute âme religieuse a le sentiment de son impureté, de ce qui l’éloigne de Dieu. Elle éprouve le besoin d’être sauvée par Dieu, elle implore la miséricorde divine, elle est soucieuse de son salut (c’est ce que rappellent les prières ). L’impureté est fondamentale par le péché originel. Dans la religion, la grâce, par sa venue, chasse le péché et la mort ( St Paul, Epître aux Romains ).

Que nous livre le CH XIII ?

L’homme est renouvelé au sens propre du terme : un autre vit en lui. Les Puissances divines, ( les vertus ), forment le Logos et s’installent. Certaines sont de nature divine : la connaissance, la vérité, la lumière, d’autres de caractère moral : justice, mesure, sagesse. Tat est un être matériel, impur. Sa personne morale est constituée des douze vices venus du Zodiaque. Il est «prêt », mais il ne peut se purifier lui-même, enchaîné à la matière. La purification ne peut venir que du dehors : « aspire à toi ». Le vouloir de l’homme est nécessaire, mais l’irruption des Puissances est indissociable du vouloir de dieu (que la volonté de dieu soit faîte). La venue des Puissances est un effet de la miséricorde divine. La vertu est ici une force entièrement divine, qui n’est pas acquise mais donnée, repoussant le vice. Le salut repose sur une «naissance en dieu », une régénération. Et cette renaissance mystique est définitive, inébranlable. Le myste est «dieu, fils de dieu », il est la raison divine, le logos. Son être réel est un être incorporel, donc un être qui ne peut se souiller. Même s’il commet des fautes, l’homme intérieur, le seul vrai, n’est pas engagé. Ce salut inaltérable fut pour beaucoup dans le succès de la gnose docétique ( docétisme : secte chrétienne du II ème siècle qui considère la naissance, la mort et la résurrection du Christ comme non apparentes ). Grosse différence, l’hermétiste est sauvé définitivement, le chrétien n’est sauvé qu’en puissance, il doit assurer son salut dans la crainte. Le phénomène qui assure cette certitude repose sur une exaltation intérieure, d’enthousiasme, telle qu’Hermès la décrit dans l’hymne. Il n’est pas décrit d’adjuvants pour obtenir cet état, hors l’initiation. Notons que le chemin est moins facile dans C.H. I, où la présence de Dieu n’est assurée qu’aux justes, et en XII, où l’homme en qui Dieu habite est capable de péché. Il est vraisemblable que l’illumination a été l’apanage d’une élite restreinte ou le fruit d’une idéalisation édifiante.
L’hermétisme : Dieu et l’homme

Les textes hermétiques ne présentent aucun caractère pouvant les rattacher à une religion. Par contre ils constituent une littérature où l’influence religieuse se manifeste à travers quelques notions qui qualifient l’époque.

1. Le désir profond d’être avec Dieu, comme une relation proche avec laquelle on converse, de l’aimer. Ce besoin impose un genre de vie où la pureté domine, évitant le contact de la femme, se tenant à l’écart de la foule, dans un état de contemplation plus que de dialogue. En réponse, les gnostiques ne plaisent pas à la foule, ils sont l’objet de la risée publique, on les méprise, et cette exclusion d’autant plus facile que leur nombre est petit. Mais ne pas faire partie de la masse, se considérer comme des élus flatte l’orgueil et donne un titre de gloire un peu artificiel. D’autant que la remarque de Platon peut s’appliquer : « il y a beaucoup de porteur de thirse, mais peu de bacchants ». Il faut bien dire aussi que dans cette société des premiers siècles, la masse réclamait le pain et les jeux du cirque, les riches aspiraient au luxe et aux plaisirs. Les écrits hermétistes traduisent le dégoût de la chair, le désir de fuir le monde et d’atteindre Dieu en réaction contre un milieu pénétré des influences de ce monde qui est le plérôme du mal.

2. Une littérature religieuse.

Tout y parle de Dieu :
La connaissance de Dieu, la piété qui mène à Dieu. Les traités sont des guides : « Telle est donc l’image de Dieu que j’ai tracée pour toi au mieux de mes forces : si tu la contemples exactement, et te la représentes avec les yeux du cœur, crois-moi, enfant, tu trouveras le chemin qui mène aux choses d’en haut » (C.H.IV 11, 53,, 11).

3. Les voies sont différentes, sur un fonds traditionnel.

a) Dieu, principe de l’ordre cosmique dont la perfection se réalise dans le monde supralunaire. La contemplation de cet ordre, de la beauté du ciel où les astres sont des dieux, on peut atteindre l’ordonnateur du Tout.

b) Dieu principe de l’être vrai, qui est l’être suprasensible ou l’Idée suprême de Platon, Bien, Beau, Un.

Notre Noûs (intellect conceptuel), dans son essence est apparenté aux Idées. Il est faculté de connaissance intellectuelle. Il a vu, dans une vie antérieure, les modèles des choses sensibles. Or l’Idée suprême, c’est Dieu, un dieu caché, inapparent aux sens, et le noûs représente la faculté de connaissance supra intellectuelle, de connaissance mystique. Ainsi le mot intelligence ou intellect ne couvre pas toute l’amplitude du noûs grec. Il n’en exprime que la première fonction qui est d’intelligere, de comprendre. On ne comprend jamais Dieu. S’il était compris il serait exprimable. Or aucun mot ne l’exprime. Il est ineffable. « Quand tu pourras ne plus rien en dire, c’est alors que tu verras la beauté de ce Bien-là. La connaissance de ce bien divin est silence, inhibition de tous nos sens. » (C.H. X 5°).

Cette voie se fonde sur la parenté du Noûs et de dieu. Cette parenté est d’ordre métaphysique dans l’école platonicienne. Mais dans le Poimandrès elle revêt un aspect mythique : l’âme est la fille de Dieu ou le prototype de l’âme est un Homme céleste, fils de Dieu. Le Noûs de l’âme est issu du premier Noûs divin, et n’a pas à changer de nature pour voir Dieu.

c) La troisième voie : pour voir Dieu il faut renaître.

L’homme nouveau remplace le vieil homme. C’est un homme restauré en sa pureté, composé de Puissances divines, c.a.d. de Dieu. L’affinité entre le noûs humain et Noûs divin a été renforcée, puisque c’est maintenant le Noûs dieu qui habite en l’homme. Les dispositions à l’union mystique sont à leur comble. On peut presque parler d’identité : le cercle se ferme et Dieu loue Dieu.

4. Le mysticisme dans ces trois voies.

Lalande : « Croyance en la possibilité d’une union intime et directe de l’esprit humain au principe fondamental de l’être, union constituant à la fois un mode d’existence et un mode de connaissance étrangers et supérieurs à l’existence et à la connaissance normales ».
Boutroux : « Le phénomène essentiel du mysticisme est ce que l’on appelle l’extase, un état dans lequel, toute communication étant rompue avec le monde extérieur, l’âme a le sentiment qu’elle communique avec un objet interne, qui est l’être parfait, l’être infini, Dieu ».
En un mot : « Contact immédiat avec Dieu, au delà de toute image et de toute représentation abstraite ».

a) La littérature abonde de développements sur l’ordre et la beauté du monde. Pourtant, le contraste entre l’agitation du monde et les affaires humaines, et le calme d’un ciel nocturne suscite le désir d’accéder à cet univers de paix et peut éveiller un sentiment d’union avec le créateur. La contemplation esthétique a été l’une des voies du mysticisme au Moyen Age et dans les temps modernes. Ce fut aussi le cas aux premiers siècles de notre ère et les écrits hermétiques en sont l’écho.

b) Porphyre, dans « La vie de Plotin » témoigne de l’union mystique dans une montée vers l’Un. « Ainsi, à cet homme divin qui souvent s’élevait par la pensée, selon les voies enseignées par Platon dans le Banquet, jusqu’au Dieu Premier et suressentiel, ce Dieu-là même apparut, qui n’a ni forme ni figure, qui est établi par delà tout l’intelligible. Moi-même, Porphyre, je déclare m’être approché de ce Dieu. Plotin, lui, eut la vision du « but tout proche »- le terme et le but, c’était pour lui l’union intime au Dieu au-dessus de tout-. Il en jouit environ quatre fois pendant que je fus avec lui, par une opération ineffable et non pas seulement en puissance ».

c) La forme de connaissance la plus originale :

C’est celle où le myste sort de lui-même pour devenir identique à Dieu. Dans le C.H. XIII, il s’agit d’un envahissement de l’homme par Dieu, dans une dynamique pneumatique. On s’éloigne totalement du platonisme. L’homme se dilate jusqu’à la totalité de l’être divin. Il devient infini dans le temps et dans l’espace. Il est présent en tous les êtres. C’est une enstase, une pénétration par le dieu. S’agit-il d’une union intime et directe de l’esprit humain au principe fondamental de l’être ? L’initiation du CHXIII nous laisse supposer cet élan mystique de Tat. Mais ceci dépasse l’ordre de la raison et seul le langage dépouillé, sincère, ni abstrait, ni théorique donne la conviction d’une expérience vécue.

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