dimanche, mars 11, 2007

L’âme selon l’approche de Platon II

II. Phédon
Dans le Phédon, Platon précise son analyse : Socrate, serein devant la mort décrit à ses amis effondrés le chemin spirituel qu’il va emprunter.

« Pour ce qui est de mon espoir de m’en aller tout à l’heure auprès d’hommes qui soient bons, cet espoir-là, à toute force, je ne le défendrais pas. Que je doive, en revanche, arriver auprès de dieux qui sont des maîtres absolument bons, eh oui ! je défendrais cet espoir-là. Il y a là par conséquent une raison pour moi de ne pas concevoir contre la mort la même irritation, et j’ai tout au contraire bon espoir que pour les défunts il y a quelque chose, et que ce quelque chose, ainsi du reste que le dit une tradition qui remonte loin, est de beaucoup meilleur pour les bons que pour les méchants…..Ne jugeons-nous pas que la mort est quelque chose ? Est-ce que ce n’est rien d’autre que la séparation de l’âme avec le corps ?. Penses-tu que ce soit le propre du philosophe de se préoccuper de ce qu’on appelle les plaisirs, des soins du corps, de l’amour ? De façon générale, ton avis est que les préoccupations d’un tel homme n’ont pas le corps pour objet, mais que, au contraire, elles s’en écartent pour autant qu’il le peut, et qu’elles se tournent vers l’âme ?….

Bref, la tempérance, la justice, le courage, accompagnés de la pensée, elle-même le moyen d’une purification ! Ils risquent fort de n’être pas des gens méprisables, ceux qui, chez nous ont institué les initiations, mais bien plutôt des grands hommes, de nous donner à mots couverts, de longue date, cet enseignement : quiconque arrivera chez Hadès sans avoir été initié ni purifié, aura sa place dans le Bourbier, tandis que celui qui aura été purifié et initié, celui-là, une fois arrivé là-bas, aura résidence auprès des dieux. » (Phédon 63,64,69)

Socrate montre sa sérénité en face de la mort, sérénité qui repose sur la confiance et l’espoir. La maîtrise du corps permet à l’âme de se retrouver en elle-même et d’assurer son devenir sinon son immortalité, dans une démarche plutôt religieuse qui se rapproche du salut. La philosophie donnant à l’homme la faculté de se détacher du corps, donc de favoriser l’âme, en assurant dans l’au-delà sa place dans le divin. Socrate croit à l’existence d’une « roue des générations » : si la mort fait suite à la vie, la vie fait suite à la mort, ce cycle rappelle à la vie ce qui était mort. « Les âmes reviennent et elles naissent à partir de ceux qui sont morts ». Il s’agit là d’une réminiscence de la tradition orphique. Le raisonnement de Socrate conduit à une notion cosmique de l’âme : si l’âme n’était pas immortelle, si la « roue des générations cessait de tourner, revivre ne compense plus mourir, le processus devenu rectiligne, ne comporterait plus de retour. La mort de l’âme serait la mort de toutes choses. Il en découle que l’âme n’a pas seulement une dimension individuelle, elle est une manifestation réduite d’une âme universelle avec laquelle elle est liée. Ainsi la Nature a un devenir sans fin, selon la loi de l’alternance des naissances et des morts. On peut parler d’une Ame du monde que Platon fait intervenir pour étayer sa croyance à la survie de l’âme humaine.

Puis Socrate essaie de faire la distinction entre les objets des sens et les objets de la pensée :
« L’Egal en soi, le Beau en soi, la réalité de chaque chose, se peut-il que cela soit susceptible de changement, et même du moindre changement ? Ce qu’est chacune de ces choses, l’unicité en soi et par soi de son être, cela garde-t-il toujours identiquement les mêmes rapports et admet-il jamais nulle part, d’aucune façon aucune altération ?

Cela, c’est forcé, Socrate, garde toujours les mêmes rapports, dit Cebès.
Mais qu’en est-il de la multiplicité des choses belles, hommes par exemple, ou chevaux ou vêtements, ou quoi que ce soit d’autre du même genre, et qui est soit égal, soit beau, bref portant toujours la même dénomination que les réalités dont il s’agit ? Est-ce que celles-là gardent les mêmes rapports ? ou bien, tout au contraire de ce qui a lieu pour les autres, ne gardent-elles, pour ainsi dire jamais, les mêmes rapports, ni chacune par rapport à elle-même, ni les unes par rapport aux autres ?
Elles ne se comportent jamais identiquement, dit Cebès.

Mais tandis que celles-ci, tu peux les toucher, tu peux les voir, tu peux en avoir la sensation par tes autres sens, les autres, celles qui gardent les mêmes rapports, il ne t’est pas possible de les appréhender autrement que par l’exercice réfléchi de la pensée, les objets de ce genre étant au contraire invisibles et n’étant pas atteints par un acte de la vision ?

Ton langage est d’une parfaite vérité !

Admettons donc veux-tu, reprit Socrate, qu’il existe deux espèces d’êtres, d’une part l’espèce visible, d’autre part l’espèce invisible. Et que l’espèce invisible, gardant toujours les mêmes rapports, l’espèce visible ne garde jamais les mêmes rapports.

Poursuivons donc. N’est-il pas vrai que, en nous-mêmes, il y a deux choses qui sont l’une, corps, l’autre, âme ? Mais à laquelle des deux espèces pouvons-nous dire que le corps est le plus ressemblant et le plus étroitement apparenté ?

Il est clair que c’est à l’espèce visible, dit Cebès.

Donc l’âme a plus de ressemblance que le corps avec l’espèce invisible et celui-ci en a davantage avec l’espèce visible. Mais voici quelque chose que nous disions il n’y a pas bien longtemps : l’âme, quand elle a recours au corps pour l’examen de quelque question, au moyen soit de la vue, soit de l’ouïe, soit de quelque autre sens ( car c’est faire l’examen d’une question au moyen du corps que de le faire au moyen des sensations ), l’âme, dis-je, n’est-elle pas traînée par le corps dans la direction de ce qui ne garde jamais les mêmes rapports ? n’est-elle pas elle-même divagante, troublée, en proie au vertige et à une sorte d’ivresse, et cela parce qu’elle est en contact avec des choses analogues ? Quand d’autre part c’est en elle-même et par elle-même qu’elle fait cet examen, alors n’est-ce pas là-bas qu’elle s’élance, vers le pur, le toujours existant, l’impérissable, ce qui est toujours pareil à soi-même ? n’en finit-elle pas alors de sa divagation, et au voisinage des objets dont il s’agit, ne garde-t-elle pas toujours identiquement les mêmes rapports, en tant qu’elle est en contact avec des choses de cet ordre ? n’est-ce pas enfin à cet état de l’âme qu’on a donné le nom de « pensée » ?…..

Lorsque sont unis ensemble âme et corps, à l’un la nature prescrit d’être esclave et soumis à une autorité, à l’autre d’exercer l’autorité et d’avoir la maîtrise ; cette fois, sous ce rapport, est-ce, à ton avis à ce qui est divin que ressemble l’âme ? est-ce à ce qui est mortel ?

C’est trop clair, Socrate, l’âme ressemble à ce qui est divin, le corps à ce qui est mortel !
Dès lors, poursuivit Socrate, ce qui ressemble le plus à ce qui est divin, impérissable, intelligible, qui possède l’unicité de la forme, qui est indissoluble, qui toujours garde, identiquement avec soi les mêmes rapports, c’est l’âme. Ce qui, d’autre part, ressemble le plus à ce qui est humain, mortel, non intelligible, qui a multiplicité de la forme, qui est sujet à dissolution, qui ne garde jamais avec soi les mêmes rapports, c’est à son tour, le corps. » (Phédon, 79, 80)

Platon oppose l’âme, invisible, au contact de l’intelligible, donc des Idées et obligée d’accompagner les manifestations des Idées. L’âme est ainsi intermédiaire entre le sensible et l’intelligible. Mais elle est emprisonnée dans le corps qui la pervertit dans la doxa et dans l’éphémère. On comprend que l’âme peut influer sur le sensible et le rendre perméable à l’invariant, à l’idéal, à la pureté de la création, du divin. Tout en permettant la continuité du sensible. Platon aborde l’immortalité de l’âme dans une direction différente de la réminiscence, dans un raisonnement où l’intelligible domine le sensible. Au contact du corps, elle connaît désirs, craintes, plaisirs et peines qui l’éloignent de sa destination spirituelle. Il s’agit donc pour elle de se purifier de ce qui est en elle une souillure, d’attendre la séparation de la mort qui la libérera et lui fera espérer une existence future désincarnée. Les réflexions de Socrate sur lui-même et la destinée de son âme alors qu’il se prépare à recevoir la ciguë, sont illustrées par un mythe eschatologique qui ne s’inscrit pas dans ce propos.

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