III. La République
Dans La République, Platon exhorte le philosophe à ne pas se confiner dans un isolement méprisant, mais à participer à la vie de la cité et à son gouvernement. Il dresse un parallèle entre l’âme de l’individu et l’harmonie de l’Etat. La vie de l’Etat représente, en gros caractères, ce qui est en petits caractères dans l’âme de chacun des individus qui le composent : « Comme si l’on enjoignait à des gens dont la vue n’est pas perçante, de lire à longue distance de petites lettres ; et que l’un de ces gens s’avisât par la suite que ces mêmes lettres existent peut-être aussi ailleurs, en plus grand, sur une plus grande surface »( 368 d ).
D’autre part, Platon décrit la partition de l’Etat en trois classes : pour que la justice règne il doit exister entre la classe des penseurs et celle des travailleurs et des productifs, une classe de guerriers, qui sont dirigés par les premiers et qui obéissent aux derniers. Cette classe de guerriers est le pôle stabilisateur de la société.
L’âme étant un intermédiaire entre le sensible (par son union au corps) et l’intelligible, elle doit posséder, dans cette action de liaison, une dimension tripartite.
« La soif est en corrélation avec le breuvage. Mais tandis qu’un breuvage d’une certaine qualité est corrélative d’une certaine qualité de soif, la soif elle-même ne l’est ni d’un breuvage peu abondant, ni bon, ni mauvais, en un mot non d’un breuvage avec qualification, mais d’un breuvage tout court. Ainsi donc l’âme de celui qui a soif ne souhaite rien d’autre que de boire, c’est ce qu’elle désire, c’est à cela qu’elle tend. Donc, si parfois quelque chose tire en sens contraire cette âme assoiffée, ne doit-il pas y avoir en elle quelque chose qui se distingue du seul fait d’être assoiffée, de ce qui la mène, telle une bête vers l’acte de boire ?
Ceci posé, nous faut-il assurer qu’il y a des gens qui ont soif et qui refusent à boire ? Qu’assurerait-on de ces gens-là ? Ne serait-ce pas ceci : tandis qu’au-dedans de leur âme il y a ce qui les incite à boire, au-dedans de celle-ci il y a ce qui les en détourne, principe distinct de celui qui incite et l’emporte sur lui. Et maintenant, est-ce que dans les cas de ce genre, ce qui détourne n’apparaît pas en conséquence d’un calcul raisonné ?
Il ne serait donc pas déraisonnable à nous, de juger qu’il y a là deux fonctions et qu’elles se distinguent l’une de l’autre, donnant le nom de raisonnante à cette fonction de l’âme par laquelle elle fait un calcul raisonné, et à la fonction en vertu de laquelle elle aime, a faim, a soif, éprouve des transports relativement à ses autres désirs, le nom d’irraisonnée et de désirante, compagne de certains assouvissements et jouissances. Donc l’existence, à l’intérieur de l’âme de ces deux espèces de fonctions est pour nous chose établie.
La question est maintenant de savoir si celle de l’ardeur des sentiments, celle en vertu de laquelle nous brûlons d’une généreuse ardeur, est une troisième fonction…Ne nous apercevons-nous pas, en mainte occasion, qu’un homme poussé par la violence de ses désirs à agir contre la raison qui calcule, s’injurie lui-même et s’emporte contre ce qu’il y a en lui-même dont il subit la violence ; et que, comme il s’agissait d’une lutte entre deux partis, la raison trouve un allié dans l’ardeur des sentiments qui animent un tel homme ?
L’ardeur des sentiments, dans le cas de dissension dans l’âme, prend les armes pour soutenir le parti de la raison. Elle est un troisième terme, un auxiliaire naturel pour la fonction raisonnante, celle qui calcule au sujet du meilleur et du pire. En sorte que dans l’âme, il y aurait, comme dans l’Etat qui se compose , lui, de trois classes : celle des gens qui font des profits, celle des auxiliaires, celle qui délibère, un troisième terme, l’ardeur du sentiment.
Dès lors, cette partie de l’âme est celle qui vaut à tel ou tel individu d’être appelé courageux, lorsque l’ardeur impétueuse qui est en lui sauvegarde, au travers des peines comme des plaisirs, les prescriptions qui viennent de la raison sur ce qui est à craindre ou ne l’est pas. Quant au nom de sage, en vérité, il lui vient de cette petite partie en lui, celle qui commandait en lui, qui édictait ces prescriptions, possédant un savoir de ce qui est profitable, tant pour chaque partie que pour la communauté entière qu’elles constituent à elles trois. Le nom de tempérant, ne le doit-il pas à l’amitié et au concert qui existe entre ces parties elles-mêmes lorsque celle qui commande et les deux qui sont commandées ont en commun la conviction que c’est la raison qui doit commander ? La tempérance, en tout cas, n’est pas autre chose que cela, tant celle de l’Etat que celle du simple particulier. » ( La République, IV, 435 à 444 )
Platon montre ici son souci de dépasser la stricte dualité âme-corps et aborde la dimension psychologique du fonctionnement humain. Au lieu de se limiter à l’union de l’âme à un corps totalement étranger, il imagine qu’il puisse exister, à l’intérieur de l’âme, une fonction qui joue le rôle, vis à vis d’elle, identique à celui du corps à l’égard de l’âme. S’il arrive à l’homme qu’il résiste à une tendance ou qu’il la combat parce que le résultat n’est pas désirable, c’est qu’une autre fonction entre en ligne de compte. Cette faculté apparaît comme « un calcul raisonné » et elle s’oppose à la pulsion incontrôlée. Il ne s’agit pas d’un conflit, mais d’une médiation de la partie la plus accomplie de l’âme, façonnée par l’éducation. La traduction est un conflit intérieur, une mauvaise conscience qui va s’harmoniser grâce à la fonction délibérative, médiatrice de l’âme. Sa victoire se traduira par une action réfléchie, que l’on pourra qualifier de courage, de tempérance, de sagesse, de justice. La quête et la pratique d’une vertu acquise est la condition qui développe cette troisième fonction de l’âme. L’intérêt de cette approche platonicienne, c’est qu’elle qualifie grandement la démarche qui nous concerne dans la pratique de l’Art Royal. Notre âme touche à deux mondes, dont l’un, celui d’en-bas n’était pas maîtrisé par l’autre, l’intelligible, qui a du mal à se rabaisser vers l’inférieur. L’élément supérieur a donc besoin d’un « auxiliaire » qui l’épaule dans la lutte, d’un élément modérateur, harmonisateur. C’est ce que nous procure la réflexion écossaise, à travers les traditions, la philosophie, les initiations comme épure de la connaissance de soi, du monde, et du dieu. Platon nous apprend que l’âme ne peut s’isoler dans ses vertus intellectives, elle participe du sensible sans s’y soumettre. Elle doit intégrer le sensible en lui donnant la part qui lui convient.
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