lundi, janvier 07, 2008

LES ORIGINES ARABES de l'athéisme philosophique Européen ( partie 2 )

  • Après une série d’opérations armées en Irak (pillage de Bassora et de Koufa, attaque des caravanes du Pèlerinage, etc.), en 930, les Qarmates, emmenés par Abu Tahir, parvinrent même à s’emparer de La Mecque ; au bout de huit jours de massacres et de pillages ininterrompus, ils finirent par emporter la Pierre noire de la Ka’bah (qu’ils ne rendirent qu’en 951, brisée en sept morceaux), afin de « marquer de façon tangible la fin de l’ère musulmane » et « l’avènement de l’ère religieuse finale ».


  • L’idéologie qarmate combinait en fait plusieurs éléments : le dualisme gnostique et l’ésotérisme de type néoplatonicien hérités de l’ismaélisme ; la critique, commune à tous les hérétiques, des religions existantes et de l’ordre social qu’elles légitimaient ; le messianisme propre à ceux qui attendent la venue imminente d’un nouveau prophète ; et enfin un programme révolutionnaire de type communiste, prônant la redistribution des terres et la mise en commun des biens, qui lui permit de remporter immédiatement l’adhésion de milliers de paysans, d’ouvriers et d’artisans. On a proposé de voir dans le courant qarmate une résurgence du manichéisme (l’ismaélisme lui-même véhicule des éléments issus d’anciens systèmes religieux iraniens, dont le manichéisme), probablement par l’intermédiaire du mazdakisme, mouvement politico-religieux apparu en Perse au VIe siècle, qui aspirait à une égalité absolue entre hommes et femmes et à l’abolition des classes socio-économiques par une totale communauté des biens.

  • Quoi qu’il en soit, le mouvement qarmate fait irrésistiblement songer aux mouvements millénaristes, communistes et révolutionnaires qui sont apparus en Europe à la fin du Moyen-Age, et dont l’Anabaptisme est resté le plus célèbre . Grâce aux documents sur le mouvement qarmate mis en lumière par Louis Massignon en 1920, l’origine arabo-musulmane du blasphème des Trois Imposteurs est à présent reconnue de tous. Plus récemment, des recherches effectuées par Ahmad Gunny, de l’Université de Liverpool, ont apporté quelques nouveaux éléments à la question . Ahmad Gunny, revenant sur le problème des éditions modernes du Livre des trois imposteurs, a remarqué que ce traité comporte un épisode de la vie de Mahomet qu’on retrouve dans plusieurs ouvrages du XVIIe siècle.

  • Voici cet épisode: afin d’abuser le peuple, Mahomet avait demandé à l’un de ses compagnons de se dissimuler dans une fosse, d’où l' homme parlerait, invisible, afin de faire croire au peuple que la voix de Dieu s’exprimait en faveur de Mahomet.
    Mais un jour, ce dernier, « se voyant suivi d’une foule imbécile qui le croyait un homme divin », et craignant que son complice ne révèle l’imposture, accabla celui-ci de promesses et « lui jura qu’il ne voulait devenir grand que pour partager avec lui son pouvoir, auquel il avait tant contribué ». A force d’arguments et de cajoleries, il finit par le persuader de se cacher à nouveau dans la fosse aux oracles. « Trompé par les caresses de ce perfide, son associé alla dans la fosse contrefaire l’oracle à son ordinaire; Mahomet passant alors à la tête d’une multitude infatuée, on entendit une voix qui disait: “Moi, je suis votre Dieu, je déclare que j’ai établi Mahomet pour être le prophète de toutes les nations ; ce sera de lui que vous apprendrez ma véritable loi, que les Juifs et les Chrétiens ont altérée.” Il y avait longtemps que cet homme jouait ce rôle, mais enfin il fut payé par la plus grande et la plus noire ingratitude. En effet, Mahomet, entendant la voix qui le proclamait un homme divin, se tournant vers le peuple, lui commanda, au nom de ce Dieu qui le reconnaissait pour son prophète, de combler de pierres cette fosse, d’où était sorti en sa faveur un témoignage si authentique, en mémoire de la pierre que Jacob éleva pour marquer le lieu où Dieu lui était apparu. Ainsi périt le misérable qui avait contribué à l’élévation de Mahomet ; ce fut sur cet amas de pierres que le dernier des plus célèbres imposteurs a établi sa loi. »

  • Cet épisode qui doit visiblement plus au plaisir du blasphème qu’à l ’exactitude historique est présent entre autres dans le Dictionnaire historique de Pierre Bayle (1695-1697) et dans l’Apologie pour tous les grands hommes qui ont été accusés de magie de Gabriel Naudé (1635). Or Ahmad Gunny est parvenu à remonter à l’origine de cette histoire qui constitue l’essentiel du passage consacré à Mahomet dans le Livre des trois imposteurs ; et bien entendu, cette origine est arabe. On trouve en effet un récit analogue dans l’Histoire générale du grand historien arabe Ibn al Athir (1160-1233). Des extraits de ses Annales ont été reproduits, en appendice, par le baron de Slane dans sa traduction de l’Histoire des Berbères d’Ibn Khaldoun (1332-1406) ; ces extraits racontent que « lors du siège de Tinmal par le réformateur marocain Ibn Tumart (1078-1130), qui se proclama le “Mehdi” [ mahdi] des Almohades vers 1121, plusieurs milliers d’habitants périrent. Comme les principaux habitants voulurent un raccommodement avec l’émir des musulmans, le Mehdi prit des mesures contre eux et en 1125 il eut recours aux services d’un de ses agents nommé Bashir al Wansharisi. Ibn Tumart montra un feint étonnement et demanda à Bashir ce qui lui était arrivé. Dans une scène qui remplit d’admiration les assistants, celui-ci répondit […] que Dieu lui avait communiqué une lumière par laquelle il pouvait distinguer les hommes prédestinés au paradis d’avec les réprouvés, gens voués à l’enfer. Bashir prétendit même que Dieu avait ordonné à Ibn Tumart de faire mourir les réprouvés et que pour prouver la vérité de ses paroles, il avait fait descendre plusieurs anges dans le puits.

  • Après avoir entendu ces paroles, tout le monde s’y rendit. Ibn Tumart fit alors une prière et prononça ces mots : “Anges de Dieu ! Bashir al Wansharisi dit-il la vérité ?” Des individus qu’il avait fait secrètement cacher dans le puits répondirent oui. Ayant reçu ce témoignage, Ibn Tumart se tourna vers le peuple et lui dit : “Ce puits est pur et saint, car les anges y sont descendus ; aussi ferions-nous bien de le combler pour empêcher qu’il soit souillé par des ordures”. Alors tous les assistants s’empressèrent d’y jeter des pierres : le puits fut comblé. C’est là, d’après Ibn al Athir, une des façons dont Ibn Tumart raffermit complètement son autorité et se débarrassa de 7000 individus qui lui avaient donné ombrage. »

  • D’après Ibn al-Athir, à son époque (c’est-à-dire entre la fin du XII e siècle et le début du XIIIe siècle), il circulait au Maghreb plusieurs versions de la même histoire. Par le jeu du changement continuel propre à la mémoire des récits, il est fort probable que l’imposture d’Ibn Tumart racontée dans le monde arabe soit devenue en Europe l’imposture de Mahomet lui-même, sans qu’on sache à quel moment précis le change s’est produit.
    La translation géographique et narrative de cette anecdote livre donc aujourd’hui la dernière preuve de l’origine arabe de ce que Louis Massignon appelait « la légende De tribus impostoribus ». Et jamais, sans doute, une légende n’aura eu une telle force pratique dans l’Histoire.

  • En effet, le blasphème des Trois Imposteurs procédait pour la première fois à l’attaque du judaïsme, du christianisme et de l’islam sur un même front, autorisant par conséquent le passage de la critique des formes particulières de la religion au combat contre son essence universelle. La place de ce traité mythique dans l’histoire de la philosophie n’est donc pas univoque : il est certes le produit d’esprits qui aspiraient à s’affranchir du pouvoir temporel et spirituel des religions, mais il a aussi contribué, en tant que tel, à produire cette aspiration (et l’énergie qui fut dépensée à le rechercher n’est pas le moindre signe de ce besoin impérieux de liberté).

  • Il a ainsi ouvert la voie de l’athéisme véritable : non pas celui, trop timoré, d’un Diderot ou d’un La Mettrie, mais celui de Jean Meslier (1664-1729), auteur d’un formidable Mémoire tout entier consacré à la démolition des cultes, ou celui du marquis de Sade (17401814), dont la fureur antireligieuse a couvert tant de pages que Gilbert Lely n’a eu aucun mal à en recueillir les éclats sous le titre sans équivoque de Discours contre Dieu.


  • Cet athéisme là portait en lui bien plus qu’un « refus métaphysique des dogmes religieux » : il était « une égale et furieuse réprobation de tout ce qui se présente […] comme une entrave à la liberté native de l’homme, qu’il s’agisse d’une tyrannie d’ordre religieux, politique ou intellectuel ». En un mot, cet athéisme portait en lui la Révolution.
    Par quel chemin le blasphème des Trois imposteurs est-il arrivé à la connaissance de l’Occident chrétien, contribuant ainsi à son bouleversement?

  • Les philosophes arabes invités à la cour de l’empereur Frédéric II l’ont-ils amené avec eux, comme on l’a pensé au Moyen-Age ? L’a-t-on recueilli en Espagne, abandonné par le reflux des troupes musulmanes après les victoires successives de la Reconquista ? Ou les chevaliers provençaux l’ont-ils rapporté de leurs croisades en Terre Sainte ?

  • Toujours est-il que c’est bien la civilisation arabe qui a fourni à l' athéisme européen cette arme cruciale, la première qui fut employée dans une guerre de plusieurs siècles contre les illusions et les infamies de la religion. Et il est plus que jamais nécessaire de le rappeler aujourd’hui, en un moment où les suppôts des imposteurs se disputent la direction des foules sur les lieux mêmes de leurs premiers forfaits.

1 commentaire:

iskender a dit…

salut à toutes et à tous,


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Une nouvelle version est enfin disponible , revue et augmentée.
Elle compte 2700 pages mars 2008. Nous ferons une version encore améliorée tous les ans.

ça y est : la version 2009 d’islam-documents.org est enfin disponible: 3700 pages et 3 ans de travail. bonne lecture et bon courage!

N’ayez pas peur. Allez voir. Et ne vous voilez pas la face!

Portez vous bien.