L’opposition entre Orphée et Hésiode se marque d’abord dans le contraste entre le Chaos et l’Œuf primordial. À l’origine de toutes choses, Hésiode situe une puissance de l’inorganisé, la béance, le vide, le Chaos, à partir duquel, par étapes successives, les puissances constitutives du Cosmos vont se distinguer, prendre forme, et se définir les unes par rapport aux autres, la souveraineté de Zeus marquant la fin d’un procès qui va du non-être à l’être. Le modèle que présentent les cosmogonies orphiques est l’inverse du précédent : c’est l’Œuf qui est l’origine de tout, comme symbole de la vie, image du vivant achevé et parfait, représentant la plénitude de l’Être qui va se dégrader peu à peu jusqu’au non-être de l’existence individuelle.
Un autre aspect de l’opposition entre Hésiode et Orphée se manifeste à travers l’importance prise dans les théogonies rhapsodiques par un Éros primordial, lequel est, pour ainsi dire, mis entre parenthèses par Hésiode. Sous les noms de Prôtogonos, (Premier-Né), ou de Phanès ,(Celui qui fait briller), Éros est, dans la pensée orphique, la puissance qui intègre et concilie les opposés et les contraires ; c’est la force primordiale qui permet d’unifier les aspects différenciés d’un monde déchiré par les tensions que provoque une puissance comme Neikos (Querelle). Pour Hésiode, en revanche, Éros n’est plus que le principe de la génération par accouplement, dont la médiation permet la distinction de puissances nettement différenciées.
Cette différence d’orientation se marque encore plus nettement dans la place que l’un et l’autre système réservent à l’homme.
Pour Hésiode, seuls comptent les dieux, leurs parts respectives, leur histoire qui forme le vrai discours sur l’Être. Et le partage entre les dieux et les hommes qu’effectue Prométhée ne fait que consacrer l’ordre défini par les puissances divines.
Dans la pensée orphique, au contraire, l’anthropogonie est un chapitre essentiel : il s’agit d’expliquer à la fois comment les premiers hommes ont fait leur apparition dans un monde originellement parfait, comment ils ont été déchus dans une existence individuelle, et comment ils portent en eux, cependant, une parcelle d’origine divine. Un mythe « théologique » raconte l’origine de l’homme et la faute qu’il doit payer : le meurtre du jeune Dionysos par les Titans, sous la forme d’un sacrifice sanglant, mais inversé, puisque les chairs de l’enfant sont d’abord bouillies avant d’être passées à la broche. Les Titans, qui ont goûté de cette cuisine monstrueuse, sont foudroyés par Zeus, et de leurs cendres vont naître les premiers hommes, marqués par une double ascendance, titanique et dionysiaque. L’une est l’esprit de violence, la propension au mal ; l’autre est l’élément d’origine divine qu’un ascétisme rigoureux va permettre de purifier et de libérer de la « prison » du corps où l’âme est enfermée en châtiment de ses fautes.
Les lamelles d’or
Une part importante de l’eschatologie orphique a été révélée par les tablettes trouvées en Grande-Grèce (Pétilia, Thourioi) et en Crète (Éleutherna). Enterrées avec l’initié, ces lamelles d’or portent, gravées, les formules qui serviront à leur propriétaire de mot de passe dans l’au-delà. L’âme s’y présente comme « fils de la Terre et du Ciel étoilé » ; elle demande aux dieux infernaux de lui donner à boire l’eau fraîche qui coule du lac de Mémoire ; elle sait aussi qu’elle doit prendre à droite et éviter de s’engager vers la gauche, dans la direction d’une autre source d’où coule l’eau de l’Oubli. Mémoire est l’eau de Vie, qui marque le terme du cycle des métensomatoses, par opposition à l’Oubli, dont l’eau de Mort représente la vie terrestre, rongée par le temps et le non-être. Mais l’eau de Mémoire n’est accessible qu’à l’initié qui a pratiqué le genre de vie réservé aux purs et accepté la discipline de salut grâce à laquelle il ne connaîtra pas le sort réservé aux non-initiés, condamnés à la boue et au cloaque d’un au-delà « cruel et glacé ».
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire