Elle se dégage de l'analyse des mythes même si l'expression principale fut celle de la religion. Les nombreuses narrations sont, en fait, des interprétations des exploitations logiques de la pensée humaine. L'homme se cherche à travers les mythes, comme il cherche son origine et sa finalité.
A cet effet, il est utile de se référer à la personne mythique de Enki-Ea. Nous avons vu qu'il était le grand concepteur, le grand ingénieur, l'auteur de la nature et de la culture, " L' Intelligent, le Sage, l'Avisé, l'Habile,...Le Formateur de tout...". Il est le seul à prendre en main les affaires divines et humaines. " Qui serait plus avisé que lui ? " ( Enki et Nimah ). Il est le Maître de la sagesse et il a donné naissance au mythe des sept Sages, transmis par Bérose, ce lettré du 3ème siècle avant notre ère qui s'était donné pour tâche de mettre en grec, après la victoire d'Alexandre ( 333 ), les principales traditions de son pays. Voici le mythe tel qu'il le décrit :
" En Babylonie, quantité d'hommes venus d'ailleurs s'étaient installés en Chaldée où ils menaient une existence inculte, pareils à des bêtes. Une première année, alors, apparut là , sur le rivage, un monstre extraordinaire, sorti de la Mer Rouge et appelé Oannès. Son corps entier était celui d'un poisson avec, sous la tête, ( de poisson ) une autre tête, ( humaine ) insérée, ainsi que des pieds, pareils à ceux d'un homme, silhouette dont on a préservé le souvenir et que l'on reproduit encore de notre temps. Ce même être vivant, passant ses jours parmi les hommes, sans prendre la moindre nourriture, leur apprit l'écriture, les sciences et les techniques de toute sorte, la fondation des villes, la construction des Temples, la jurisprudence et la géométrie. Il leur dévoila pareillement la culture des céréales et la récolte des fruits : en somme il leur donna tout ce qui constitue la vie civilisée. Tant et si bien que, depuis lors, on n'a plus rien trouvé de remarquable sur ce chapitre. Au coucher du soleil, ce même monstre, Oannès replongeait dans la mer pour subir ses nuitées dans l'eau, car il était amphibie. Plus tard, apparurent d'autres êtres analogues.. ." ( Babyloniaka I, dans P. Schnabel, Berossos ).
Il cite dans son même ouvrage six autres sages et il rattache leur apparition au règne de l'un des souverains locaux antérieurs au déluge. Ils n'avaient fait, souligne-t-il qu'expliciter ce qu'Oannès avait mis en place. Cette tradition est retrouvée dans des textes antérieurs. Chaque Sage, Adapa, est censé avoir joué, auprès des monarques antédiluviens, le rôle d'apkallu, terme sumérien akkadisé qui désignait des personnalités humaines, mais vues comme surnaturelles et fabuleuses. Elles représentaient des personnages très intelligents, des super-experts en toutes techniques, mais enseignant leur propres secrets, tels des héros civilisateurs. Les apkallu étaient des créatures d'Enki/Ea.
Dans l'Epopée d'Erra : " Ces sept Apkallu, carpes saintes, Qui pareils à Ea, leur maître, Ont été adornés par lui d'une ingéniosité extraordinaire...".
Dans Orientala : " Ces sept Apkallu, crées dans la rivière, Pour assurer le bon fonctionnement des plans divins concernant Ciel et Terre...".
Le nombre sept fait partie des symboles et du vocabulaire hiératique des rites et des mythes. Au delà du mythe, le Sage est détenteur de la connaissance révélée des choses qui conduit à la vérité. En sumérien, le Sage était désigné par un mot définissant tout détenteur d'un savoir spécialisé, scribe, arpenteur, artisan ou artiste. L'akkadien disposait d'autres termes qui marquaient l'idée de profondeur ( emqu ) ou la faculté d'entendre et de comprendre "hss", " l'homme au vaste entendement, littéralement à l'oreille large ". A toute époque, les sages furent des personnages essentiels de la société mésopotamienne, les familiers du Roi, qu'ils éclairaient de leurs conseils. La notion de sagesse impliquait celle de révélation. Le rapport unique entretenu par le sage avec la divinité revêtait l'aspect d'un songe, support de la révélation mais donnait généralement une voie de recherche, comme le voyage de Gilgamesh vers la quête de la vie éternelle, initiation à la mort.
La sagesse était de plus liée à la piété et à la mémoire. Le verbe hasasu le soulignait qui englobait les sens d'être pieux, comprendre et se souvenir. Dans la pensée de ce temps, la parole était de nature magico-religieuse et c'était dans son efficacité que le sage pouvait trouver la certitude d'être le dépositaire de la vérité.
Si la sagesse révélée ne peut être assimilée à la connaissance philosophique, on trouve des témoignages sur l'effort de certains hommes pour percevoir les idées directrices qui président à l'ordre cosmique, ou à la cohésion de la terre. On peut y voir l'ébauche d'un esprit philosophique.
Les Mésopotamiens prisaient les débats académiques au cours desquels s'affrontaient deux personnes sur un sujet où chacun essayait de démontrer sa supériorité. C'est bien là une expression de la pensée dialectique qui s'exprime au moyen d'un dialogue. Or la philosophie se manifeste dans ce cadre dialectique. On voit un tel débat dans un écrit du 1er millénaire, La Théodicée babylonienne : chaque interlocuteur reprend les arguments de l'autre pour les corriger ou les contredire et s'échappe du particulier pour s'élever au général. Nous reconnaissons là l'optique et la rigueur qui caractérisent la pensée philosophique. Le thème est celui de la déchéance morale et le protagoniste expose son cas et tente de généraliser sa propre expérience et de comprendre la disparité entre la conduite de chacun. Il en arrive à la révolte, alors que son interlocuteur, faisant appel à la tradition au moyen d'axiomes et d'a priori, essaie de le faire persévérer dans la piété. La conclusion du poème rejoint celle du Juste souffrant : c'est son défaut d'intelligence qui ne permet pas à l'homme de comprendre la pensée et les actions des dieux.
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