samedi, janvier 13, 2007

La Mésopotamie - L'origine des Grands Mystères

L'homme, la vie, la mort et la renaissance.

Les premiers voyages initiatiques de l'humanité s'effectuent sous l'égide d'Inanna-Istar, la déesse martiale et voluptueuse.

Elle est à l'origine de nombreux mythes et sa personnalité est exubérante. La déesse sémitique Istar se présente comme une divinité belliqueuse. Elle a annexé la sumérienne Inanna, déesse de l'amour physique, Delebat, déesse de la planète Vénus. Toutes les anciennes déesses se sont effacées devant elle.

Je célèbre la très haute, la plus vaillante des dieux !
Fameux sont ses exploits, ses menées sibyllines,
Elle est toujours à guerroyer et d'une activité déconcertante !
Devant dieux et rois elle " valse ",
De toute sa virilité !
Sceptre royal, trône, couronne lui ont été octroyés,
On lui a remis l'univers ! ( Poème d'Agusaya ).

Le poème le plus édifiant pour illustrer notre sujet :

La Descente d'Inanna aux Enfers

Inanna, qui réside au Ciel, décide de partir pour " en-bas ", l'Enfer, dans le probable dessein de s'agréger un nouveau champ d'influence. Elle aspire à régner également sur le Monde Inférieur et supplanter sa soeur, Ereshkigal, souveraine du monde des Trépassés. Elle quitte un à un tous ses sanctuaires et prend tous ses pouvoirs, réduits symboliquement au nombre de sept, figurés par les sept parures.

" Elle s'équipa des Sept Pouvoirs,
Elle coiffa donc le Turban, Couronne de la steppe,
Se fixa au front les Accroche-coeur,
Empoigna le Module de lazulite;
Disposa élégamment sur sa gorge les Perles couplées;
Se passa aux mains les Bracelets d'or;
Tendit sur sa poitrine le Cache-seins " Homme ! viens ! viens !"
S'enveloppa le corps du pala , Manteau royal,
Et maquilla ses yeux du Fard " Qu'il vienne ! qu'il vienne !"

Avant de partir, elle fait ses recommandations à son assistante, Ninsubur, pour le cas où elle serait malencontreusement retenue en Enfer. Elle devra alarmer tous les dieux, puis elle ira implorer les trois d'entre eux les plus puissants : Enlil, leur roi; Nanna, le père de la déesse; et surtout Enki, le Très Sage, sauveur de bien des situations. Elle devra les mettre en face de leurs responsabilités pour assurer sa prééminence et le caractère indispensable de son rôle ici-bas.

A son arrivée devant la porte de la citadelle infernale, elle réclame avec arrogance d'y être introduite aussitôt, sous le prétexte d'assister aux cérémonies funèbres en l'honneur de l'époux d'Ereskigal. Le portier remplit son office et va annoncer à sa maîtresse la visiteuse dont il décrit le port, la conduite et le voyage. Ereskigal, qui pressent quelque mauvais tour d'Inanna, ordonne qu'on l'introduise par les sept portes successives des remparts concentriques qui défendent le palais des dieux infernaux. Cette entrée par étapes, traduction des Pouvoirs et Règlements particuliers à l'Enfer, s'effectue selon un rituel de dépouillement.

"Et bien ! Inanna, entre !
Et lorsqu'elle eut franchi la première porte,
On lui ôta de la tête le Turban, Couronne de la steppe.
Que signifie ? dit-elle.
Silence, Inanna,
Les Pouvoirs du Monde d'En-Bas sont irréprochables !"

Ainsi, à chaque porte, comme tous les autres nouveaux habitants de l'enfer, on va la dépouiller de ses parures et vêtements, c.a.d. de ses Pouvoirs du Monde d'En-Haut. Elle est de la sorte, matée, vidée de toute autorité et de toute vitalité, conduite par le portier sans résistance devant la reine des Enfers. Le tribunal des Sept Anunna est convoqué pour décider de son sort. Ils l'assignent à demeure en Enfer dans le même état définitif que les autres occupants de ce lieu et Ereskigal la condamne à " demeurer morte " ( ayant perdu tout pouvoir ). Ce n'est plus qu'un cadavre, que l'on suspend à un clou, tel un vêtement, une dépouille.

Passés trois jours et trois nuits, Ninsubur, ne voyant pas revenir sa maîtresse, se met en devoir d'entreprendre les démarches prévues pour la faire libérer. Enlil et Nanna refusent d'intervenir. Ils estiment que la déesse, en voulant s'occuper de " choses interdites ", s'était mise dans son tort. Mais Enki se laisse toucher. Plus intelligent que les autres, il comprend quelle perte irréparable causerait à la marche du Monde la disparition d'Inanna. De plus, il est le seul dont l'ingéniosité soit en mesure de trouver la parade à la situation. De la crasse terreuse qui endeuille ses ongles, il modèle deux personnages qui représentent des invertis/travestis, bien connu dans la tradition mésopotamienne et susceptibles d'être admis dans le palais infernal. Il leur remet les ingrédients propres à ranimer la " morte ", nourriture et breuvage porteurs magiques de vie et il les charge de les appliquer à Inanna pour la remettre sur pied. Les invertis sont futés, comiques, déterminés et baratineurs. Leur nature incertaine leur permit de pénétrer dans la chambre d'Ereskigal, qu'ils trouvent en mal d'enfant, et de jouer les commères venues assister la souveraine. Touchée par leur sollicitude, elle promet de tout faire pour les deux complices. Ils lui font prêter un serment solennel et ils vont demander "plutôt le cadavre suspendu au clou ". Requête insolite, mais que la reine, charmée par ses hôtes et tenue par son serment, ne pourra refuser de satisfaire. Les travestis administrent nourriture et breuvage et ramènent Inanna à la vie.

Mais les magistrats infernaux prescrivent l'indéclinable loi de cet empire : nul ne peut le quitter sans y laisser un remplaçant. Inanna ira donc le chercher sur terre, accompagnée par une bande de démons cruels, impitoyables et incorruptibles. Selon la jurisprudence, le répondant devait être pris dans la famille ou la domesticité du sujet à remplacer. Les démons voulurent d'abord s'emparer de Ninsubur, mais Inanna les retint. La troupe arrive alors près d'Uruk, dans la steppe, un des quartiers principaux d'Inanna. En compagnie de ses bergers, près de sa laiterie, Dumuzi, son amant s'y trouve. Il a l'air parfaitement à l'aise, comme si son amante n'avait jamais disparu, satisfait d'être le souverain unique de la cité. Furieuse de ce comportement, Inanna le livre aux démons pour qu'il aille tenir sa place aux Enfers.

" Inanna porta sur lui un regard : un regard meurtrier
Elle prononça contre lui une parole : une parole furibonde
Elle jeta contre lui un cri : un cri de damnation !
C'est lui ! Emmenez-le ! "

Conscient du caractère inflexible et sans pitié des démons, Dumuzi fond en larmes et implore le frère d'Inanna, Utu, le dieu du Soleil, parce qu'il est juste et juge ( Utu, et son successeur sémitique Samas, était également considéré comme le dieu de la Justice ). Il le supplie de l'aider en le transformant en serpent. Utu l'exauce, il échappe aux démons et s'enfuit. Dumuzi part se cacher chez sa soeur, Gestinanna, laquelle implore en vain Inanna, et s'offre à le remplacer en Enfer. Il fallait un traître pour indiquer aux démons le refuge du malheureux. C'est la Mouche, sorte de " destin" qui joue ce rôle et permet la capture. Alors, Inanna accepte la généreuse proposition de Gestinanna. En conséquence, Dumuzi et Gestinanna passeront chacun alternativement un semestre par an en Enfer. La mort de Dumuzi appelle ainsi une renaissance et la mise en oeuvre d'un Mystère qui consacre la vanité de vouloir nier la réalité fondamentale de la mort.

Il existe d'autres versions de ce Mythe. Nous retiendrons une variante akkadienne, qui date de la fin du IIème millénaire. Il ne s'agit pas d'une traduction de la descente d'Inanna. La descente d'Istar est plus concise, mais apparaissent des éléments que le texte sumérien ignore :

* la description de l'Enfer, "La Demeure d'où ne ressortent jamais ceux qui y sont entrés "
* la supputation par Ereskigal des mobiles d'Istar

"Que me veut-elle ? Qu'a-t-elle encore imaginé ?
Je veux banqueter en personne en compagnie des Anunnaki (Doit-elle se dire)
M'alimenter comme eux de terre, et m'abreuver d'eau trouble
Déplorer le destin des jeunes hommes enlevés à leurs épouses,
Des jeunes femmes arrachées à leurs maris,
Et des bébés expédiés avant leur heure "

* la mise à mal de la déesse par les soixante maladies.
* la malédiction de l'inverti après réussite de sa mission.
* mais le fait le plus marquant, c'est que la disparition d'Istar, n'apparaît plus, comme celle d'Inanna, une affaire de famille entre les dieux. C'est une catastrophe cosmique. Son absence met un terme à l'amour physique et au rut dont elle est la patronne, et bloque ainsi toute possibilité de naissance, donc de production des biens nécessaires aux dieux. "Nul taureau ne montait plus de vache, nul baudet ne fécondait plus d'ânesse, nul homme n'engrossait plus de femme à son gré..".

* C'est pourquoi Papsukkal, inconnu du récit sumérien, intervient pour obtenir la libération de la déesse, grâce à l'intervention d'Ea. Celui-ci crée l'inverti qui égaie Ereskigal et lui soutire un serment. Elle est ainsi tenue à ranimer Istar et à la faire sortir de l'Enfer. Son lieutenant Namtar asperge Istar d'eau vitale, lui fait repasser les sept portes en la revêtant à chacune d'elle des symboles de ses puissances. "Quand il lui fit franchir la septième porte, il lui restitua la Grand-Couronne de sa tête ". Elle repart seule à la recherche de son remplaçant. Ereskigal fait en sorte que Dumuzi/Tammuz se présente à l'aise et épanoui, partageant ainsi avec Istar la responsabilité de la descente de celui-ci aux Enfers.

* Entièrement nouveau aussi, la " remontée " semestrielle de Tammuz. Les versions différentes du Mythe, les additions, les correctifs, semblent avoir pour but sa mise en œuvre liturgique. Il s'agissait, entre autres, d'expliquer le rythme annuel de la vie végétale. Dans ce pays la terre verdoyait les six mois de température modérée, de décembre à juin, puis s'épuisait sous la chaleur estivale. Au mois de Dumuzi / Tammuz ( juin ), on célébrait la mort du dieu et sa descente en Enfer. En Kislim - décembre - on fêtait sa remontée.

Interprétations.

Dans la version sumérienne, Inanna a l'ambition de conquérir le monde de l'Enfer, donc de supprimer la mort. Son échec condamne le roi Dumuzil, mais il devient le fondement d'un Mystère : il devra mourir en été pour renaître en décembre. La mort rituelle d'Inanna, symbolisée par la perte des puissances à chacune des sept portes, est suivie d'une résurrection qui entraîne la mort de Dumuzi et sa renaissance tous les six mois. En conséquence, les hommes doivent accepter l'alternance vie-mort et peuvent espérer un salut après la mort.

La version akkadienne souligne l'importance du hieros gamos Istar / Tammuz dont l'interruption par la mort prend une dimension cosmique avec la disparition imminente de la Vie, la menace du chaos. Ce Mystère, qui s'enrichit après la découverte de l'agriculture, devient le support d'une explication unitaire du monde, de la vie et de l'existence humaine. Il transcende le monde végétal, puisqu'il gouverne également les rythmes cosmiques, la destinée humaine, et les rapports avec les dieux. Les antinomies fondamentales : vie / mort, chaos / cosmos, stérilité / fertilité se résolvent dans ce Mystère qui sera la source d'une liturgie. Les rois de Sumer et plus tard les rois akkadiens, incarnent Dumuzi dans le hieros gamos avec Inanna, ce qui implique l'acceptation de la mort rituelle du roi et les lamentations lors de la descente du jeune dieu aux Enfers, le 18 du mois de Tammuz ( juin-juillet ). Ainsi se célébrait tous les ans la destruction du monde ou son retour à un état pré-cosmogonique, et sa recréation.

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