mardi, janvier 16, 2007

La Mésopotamie - L'Epopée de Gilgamesh

Le parcours initiatique vers la mort

La légende de Gilgamesh prend naissance fin du 4ème, début du 3ème millénaire. Elle relate la vie d'expérience et de quête de ce roi sumérien d'Uruk, " celui qui a tout vu ", les voies difficiles qu'il doit affronter pour accepter la finalité commune aux hommes, la mort. Ce récit s'est enrichi de mythes cosmogoniques, anthropogoniques et théogoniques, tel le poème d'Atrahasis, dont la source est sémitique et de langue akkadienne. Il prend sa forme accomplie vers 1750, et les manuscrits les plus importants ont été trouvés parmi les restes de la bibliothèque d'Assurbanipal ( 668-627), dans les ruines de son palais de Ninive.

1. Gilgamesh et la démesure.

Dans la première partie de l'Epopée, Gilgamesh apparaît dans toute sa prestance, sa perfection, sa réussite. "Monarque exceptionnel, fameux, prestigieux ", " Retour de ses errances, exténué, mais apaisé" " Après avoir tout vu, Connu le monde entier et tout mis en mémoire ", il aurait en personne " gravé sur une stèle tous ses hauts faits ", pour nous inculquer la leçon de son terrible insuccès : la résignation à notre sort fatal. C'est une sorte de surhomme, et telles sont sa vigueur et son exubérance qu'il ne peut s'empêcher de tyranniser ses sujets et de violer femmes et jeunes filles. Les dieux sont alertés, et pour le calmer, créent un rival à son image, pour lui ôter le sentiment de sa supériorité et servir de dérivatif à ses débordements.

2. Enkidu le modérateur. L'amitié.

Enkidu est ainsi introduit dans la légende sumérienne. C'est l'opposé de Gilgamesh. Celui-ci est un produit de la cité, civilisé, raffiné, homme de savoir. Enkidu est sauvage, primitif, né isolé " dans la steppe ", vivant parmi " les animaux sauvages et leurs hardes ",auxquels il tient de près par ses moeurs. Image du contraste entre une population errante et frustre, peu à peu subjuguée et intégrée par des citadins de haute culture.
Informé de l'existence d'un pareil phénomène par un rêve et par un chasseur, Gilgamesh lui envoie, pour l'apprivoiser et le rapprocher de lui, une courtisane, " La Joyeuse ", une femme vouée à cet " amour libre ", qu'on tenait dans le pays pour une des prérogatives de la haute civilisation. Elle le séduit en effet, et, " six jours et sept nuits " d'affilée, Enkidu lui fait l'amour. Sentant qu'il n'est plus de leur côté les animaux le fuient tandis qu'il s'attache à son initiatrice et apprend d'elle à « devenir un homme véritable », civilisé, et urbanisé. elle le conduit en ville, à Uruk. C'est par " l'amour libre ", avec une vraie femme et non plus une simple femelle que ce sauvage est introduit à la grande culture, qui le sort de son animalité première. Le premier contact des deux hommes est une rude empoignade dont Gilgamesh sort victorieux, mais après " ils s'embrassèrent et firent amitié ".

3. Le monstre Hawawa et la Forêt des Cèdres.

Et voilà Gilgamesh en quête de hautes aventures et de gloire, une manière de s'assurer du moins l'immortalité du renom : " Si je succombe, au moins me serai-je fait un nom...une notoriété éternelle ". L'auteur aborde le thème central de son oeuvre : le héros, jeune, fougueux, ne tient pas encore assez à la vie pour se garder de la compromettre, et n'a pas encore de la mort une image assez nette pour la fuir à tout prix. Ici s'intègre la légende sumérienne de la " Forêt des Résineux " accommodée à l'actualité akkadienne. L'action est transférée au Liban et la " Forêt des Cèdres " est gardée par le terrible Huwawa. Ce long voyage en six étapes, précédées d'un songe qui laisse pressentir les périls et les réussites de l'entreprise, se termine par la mort du Surveillant de la forêt. Les héros coupent les arbres et emportent les troncs sur leur bateau qui descend l'Euphrate et les ramène à Uruk, où on les accueille en triomphe.

4. Istar et le Taureau-Céleste.

La divine patronne de l'amour libre ", Istar, voyant Gilgamesh se gonfler de toute sa gloire, tombe amoureuse de lui et essaie de le séduire. Mais il lui rappelle le sort de ses amants une fois lassée d'eux, et lui inflige un refus dédaigneux. Furieuse, elle va réclamer de son père, Anu, qu'il expédie contre la cité de celui qui la méprise le Taureau géant, qui y fait un carnage, faisant tomber par ses mugissements des centaines d'habitants d'Uruk. Mais les deux héros le maîtrisent et le tuent. Enkidu, sous l'emprise d'une exaltation méprisante, lance sur Istar, spectatrice impuissante de son échec, une patte de l'animal et menace de la décorer de sa tripaille. Le triomphe de Gilgamesh est complet, il se proclame " le plus beau, le plus glorieux des hommes ", donne une grande fête en son palais. Ces excès dans l'action, ces insultes inutiles dans ces glorieux vagabondages, sont la marque d'une démesure que les dieux ne peuvent admettre. C'est au faîte de la réussite non maîtrisée, que la démesure appelle la chute.

5. La mort d'Enkidu.

Enkidu voit en songe les dieux le condamner à mort. Il tombe en effet malade, décline, maudit la courtisane qui, en lui permettant d'accéder à un niveau supérieur, l'a mis sur le chemin du malheur. Il trépasse dans les bras de son ami désespéré qui ne veut croire à sa mort et retient son cadavre " jusqu'au moment où les vers lui tombent des narines ". Pendant sept jours et sept nuits il pleure son ami. Puis il entonne un chant funèbre déchirant à l'adresse de son autre soi-même que la mort lui a arraché. L'intention de l'auteur se manifeste : il fallait que le statut d'Enkidu ne fût celui d'un simple serviteur, un inférieur, un étranger, mais le plus proche possible du coeur de Gilgamesh, pour que sa disparition bouleversât non seulement l'esprit, mais la vie de ce dernier. Pour la première fois le voilà mis en présence de la vraie mort, la sienne propre, à l'image impitoyable et hideuse de celle de son ami. "Il me faudra donc mourir comme Ekidu, moi-aussi ! Le désespoir ne submerge le coeur...".

6. Les épreuves initiatiques.

Gilgamesh n'accepte pas la résignation. Son caractère le conduit à lutter contre une telle fatalité, avec la pensée d'échapper au sort des humains, d'acquérir l'immortalité. Il connaît l'existence, à l'extrême bout du monde, à la frange de celui des dieux, d'un homme comme lui et qui mène là-bas une vie sans terme. C'est le héros et le seul survivant du Déluge, Uta- napishtî : " J'ai trouvé ma vie !". Il ira donc le visiter et lui demandera son secret, pour en faire profit. Le voilà parti pour un voyage merveilleux jusqu'aux extrémités de la terre.
* Il arrive aux montagnes Mâshu et trouve la porte par laquelle le soleil passe tous les jours. Cette porte est gardée par un couple d'hommes-scorpions, dont " la vue suffit à donner la mort ". Le héros, paralysé par la peur, se prosterne humblement, les hommes-scorpions le reconnaissent et lui permettent de pénétrer dans le tunnel. Après douze heures de marche dans les ténèbres, Gilgamesh débouche de l'autre côté des montagnes, dans un jardin merveilleux.
* Avant de traverser l'ultime mer périlleuse, il reçoit pourtant une mise en garde de la mystérieuse nymphe Siduri.

" Où donc cours-tu ainsi, Gilgamesh ?
La vie sans fin que tu recherche, tu ne la trouvera jamais !
Quand les dieux ont créé les hommes,
Ils leur ont assigné la mort,
Se réservant l'immortalité à eux seuls !
Bien plutôt remplis-toi la panse, demeure en gaieté jour et nuit...
Accoutre-toi de beaux habits,
Lave et baigne ton corps !
Regarde avec tendresse ton petit qui te tient la main,
Et fais le bonheur de ta femme serrée contre toi !
Telle est la seule perspective des hommes ! "

Mais, perdu dans ses espérances, il n'en veut tenir compte, traverse la mer aux mille dangers, et arrive auprès d' " Uta-napishtî-le- lointain " Il lui pose la question : "Tu me ressembles tout à fait, et pourtant les dieux t'ont octroyé une vie sans fin ! Comment as-tu donc fait pour l'obtenir ?"

En réponse, Uta-napishtî entreprend le long récit du Déluge, adaptation du célèbre Mythe du Super-Sage. Acteur et survivant de cette épopée qui donne une nouvelle chance à l'homme, Uta-napishîti bénéficie de cette situation privilégiée, à la limite du monde des Dieux et du monde des hommes, mais immortel. Il met Gilgamesh à l'épreuve, le défiant de rester seulement " six jours et six nuits sans céder au sommeil ", image de la mort. Il tient le pari, mais s'endort presqu'aussitôt profondément. Il devra donc admettre que l'immortalité n'est pas son lot. " Et maintenant, que faire ? où aller ?Le Ravisseur se saisira donc de moi ! La Mort est déjà près de moi. Où que je fuie elle m'attend ! "

Saisie de pitié, la femme d'Uta-napishtî obtient de son mari qu'il ne le laisse désemparé après tant de courage. Il lui révèle l'existence et la cachette d'un végétal mystérieux, qui n'assure pas l'immortalité véritable, mais permet au moins de retrouver sa jeunesse et recule ainsi l'échéance. Défendu par de terribles épines, il faut aller le chercher au fond de la mer, dans un recoin secret. Gilgamesh y arrive, plonge et s'empare de la Plante de jouvence. Hélas, sur le chemin du retour, pendant qu'il se baigne pour réparer sa fatigue, un serpent la lui ravit. Ainsi s'écroule son ultime espoir. Le serpent a changé de peau, renouvelant sa vie, et la réflexion de Gilgamesh est amère autant que résignée. " A quoi bon m'être ainsi épuisé ? a quoi m'être à ce point meurtri le coeur ? Je n'en ai rien retiré pour moi-même : j'ai seulement avantagé le serpent ! Et Gilgamesh se résigne. Le poète est concis, il le ramène chez lui, à Uruk, « exténué, mais apaisé » prêt à laisser aux hommes la cruelle et profonde leçon de son expérience. Il demeure « Celui qui a tout vu, connu le monde entier, et tout mis en mémoire ». Ces initiations manquées illustrent le caractère inéluctable de la mort. L'énergie démesurée de la jeunesse met un voile sur cette réalité. Il est vain de vouloir conquérir l'immortalité, même au prix d'épreuves surhumaines. L'homme doit vivre son expérience terrestre, avec les joies et les malheurs de l'existence, sans se soucier de sa fatale interruption. Il doit se contenter de l'immortalité de gloire et de renom qu'il avait obtenue avant sa quête. Mais il a sur son chemin, à travers ces épreuves initiatiques, trouvé la Sagesse et le pouvoir de transmettre son enrichissement

Justice humaine, justice divine, transcendance.

Un récit de la fin du 2ème millénaire, en langue akkadienne, " Je veux louer le Seigneur de la Sagesse ", intitulé par les assyriologues " Le Juste souffrant ", relate l'expérience d'un haut dignitaire de la cour royale, accablé par tous les maux et sauvé par le Dieu Marduk, seigneur de Babylone.

Au début du récit, il décrit sa déchéance : ses amis se sont éloignés de lui et sont devenus hostiles, il se plaint de la décrépitude de son corps en proie à toutes les maladies que les exorcistes ne peuvent soigner. Il ne voit d'autre issue que la mort. Il s'interroge sur les raisons de ce malheur. Il ne trouve aucun manquement dans son comportement religieux, ni faute ni péché. Il en conclut que la volonté divine est insaisissable pour l'homme.
" Ô dieux Ea, Shamash et Marduk, quelles fautes ai-je donc pu commettre, pour qu'une telle malédiction me soit tombée dessus ? Mon Dieu ton châtiment pèse lourd, et pourtant je n'en connais pas la raison ! "

Depuis son enfance ce juste a cherché à comprendre le dieu et à honorer la déesse avec humilité et piété. Pourtant " le dieu m'a apporté la disette au lieu de la richesse " Par contre, c'est le scélérat, c'est l'impie qui a amassé la fortune " La foule loue la parole d'un homme prééminent expert en crime, mais avilit l'être humble qui n'a pas fait de violence ". " Le malfaiteur est justifié et on chasse le juste. C'est le bandit qui reçoit de l'or, tandis qu'on laisse affamé le faible. On fortifie la puissance du méchant, mais on ruine l'infirme, on abat le faible "
Ce désespoir n'est pas l'expression de la vanité humaine, mais l'expérience de l'injustice dans le monde et de l'indifférence des Dieux. Mais finalement la Justice divine se manifeste, une série de personnages divins lui apparaissent en rêve, lui assurant la guérison et le bonheur. Marduk s'est apaisé et, dans sa miséricorde, il chasse tous les maux et le réintègre dans la société humaine. "Le Juste souffrant ", qui préfigure le Livre de Job et l'Ecclésiaste, est soumis à une véritable crise spirituelle et nous montre les rapports de l'homme avec les dieux ou le dieu.

La notion de Justice est essentielle et l'homme la considère comme rétributive de son comportement religieux.
* Le Mal, le péché sont l'apanage du comportement humain et non l'expression de la volonté divine.
* La distance entre les hommes et les dieux s'avère infranchissable.
* Ce qui permet d'approcher la notion de transcendance et de rendre l'homme comptable de son propre destin. En face de la création et des réalisations des dieux, on ne peut qu'admirer, même ce que l'on ne comprend pas. L'intelligence humaine ne lui permet pas de comprendre la pensée et les actions des dieux.
* Mais la prière, le culte, ou la résignation permet de trouver sa propre part de justice.
* A côté de la démarche rituelle et cultuelle, la quête de la Sagesse par une voie parallèle, initiatique, réinstaure l'homme dans sa dimension de créature privilégiée par l'esprit, manifestation suprême de la Justice divine.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
J'ai lu il y a quelques années une traduction de l'épopée de Gilgamesh.
Il s'agit de "l'épopée de Gilgamesh, le grand homme qui ne voulait pas mourir" par Jean BOTERO.
J'ai trouvé que ton texte en est un bon résumé. Bravo. C'est superbe.
Cette histoire gagne à être connue.

A bientôt.

Anonyme a dit…

tres utile et enrchissant de connaitre nos racines à savoir l'histoire de la mesopotamie l'epopée de gilgamésh fait partie de nôtre humanité.à voir l'illustration de cette épopée:http:gilgames-riera.blogspot.com

Anonyme a dit…

rectif du commentaire3:25 faire http://gilgamesh-riera.blogspot.com .à voir le blog sur l'epopée illustré par des tablettes d'argile.