Cette épopée a été composée vraisemblablement sous le règne de Nabuchodonosor, vers la fin du 2ème millénaire et s'intitule Enûma Elish," Lorsque là-haut...".
Ce mythe est la mise en oeuvre la plus achevée des conceptions mésopotamiennes en matière de cosmogonie, de théogonie et d'anthropogonie. L'oeuvre comporte sept chants et se pose comme un argument destiné à démontrer l'accession de Marduk à la prééminence absolue sur les dieux, le monde et les hommes..
Le poème commence ainsi :
"Lorsque Là-haut
le ciel n'était pas encore nommé,
Et qu'ici-bas la terre ferme
N'était pas appelée d'un nom,
Seuls Apsû le premier,
Leur progéniteur,
Et mère Tiamat, leur génitrice à tous,
Mélangeaient ensemble leurs eaux
Ni bancs de roseaux n'y étaient encore agglomérés,
Ni cannaies n'y étaient discernables."
C'est le Chaos originel, une matière aqueuse mais orientée selon un axe vertical avec une bipolarité qui oppose l'En-Haut à l'En-Bas : substrat au sein duquel les eaux douces et amères, Apsû et Tiamat, principe mâle et femelle sont intimement mêlés. De ce Chaos, et d'Apsû et Tiamat, naissent des générations de divinités turbulentes qui, par leur mouvement même, jettent le trouble dans l'univers originel immobile, silencieux et obscur. La procédure de la création suit le modèle de la procréation, largement attesté par la littérature sumérienne et akkadienne. Le corps féminin, déjà, est considéré comme le lieu d'une mutation. De plus, les dieux étant les artisans de la genèse du monde, l'auteur complète le récit cosmologique par un discours sur les dieux. Il évoque, de génération divine en génération divine, la dissociation progressive des dieux d'avec la matière primordiale dont ils sont issus.
Des conflits résultent de cette situation, dont les épisodes sont sanglants. La crise est résolue par Ea qui, à l'aide d'un philtre, met à mort Apsu. Sa mort est sacralisée par l'édification du Palais de l'Apsu où fut procréé par Ea et Damkina son épouse, " le Sage des Dieux " qui ne téta jamais que des mamelles divines : Marduk. Tiamat prend la tête des puissances du Chaos contre tous les dieux, sa progéniture. La Mère-Abîme met au monde des Dragons- géants, au corps rempli de venin, des Léviathans féroces, des Hydres, des Lions colossaux, des Bisons gigantesques, et toutes sortes de Monstres armés pour la destruction du monde. Parmi les jeunes dieux épouvantés, nul n'a le courage de l'affronter. Mis en avant par Ea, seul Marduk accepte le combat, mais il demande les pleins pouvoirs, que lui accordent les dieux. Sa victoire est totale, il tue Tiamat au cours d'un combat singulier, et, nouveau souverain de l'Univers, il organise le cosmos. Le mythe fonde l'ordre politique du monde, et cet ordre est monarchique.
Marduk se met à l'oeuvre et accomplit l'acte fondateur : il divise le corps de Tiamat en deux comme un poisson à sécher et le dispose en deux moitiés se faisant face. Ce geste qui divise pour ordonner donne également le jour, chacune des moitiés ainsi séparées étant comme le reflet spéculaire de l'autre, à la dynamique de l'analogie : Selon les Mésopotamiens, l'univers est parcouru par un vaste réseau d'homologies qui tend à rapprocher jusqu'aux choses les plus éloignées.
Dans la suite du récit, on assiste à la mise en oeuvre d'un autre modèle de création : le réel étant assigné dans le terme qui l'exprime, il suffit au dieu créateur de prononcer un nom pour que la chose désignée existe. En disant les faits, la parole les instaure.
* La cosmogonie.
Dans la partie supérieure du substrat, l'En Haut, Marduk crée une grande demeure qu'il nomme E. Sara, demeure de la totalité, et qui est le Ciel, la résidence des dieux, ornée d'astres et de constellations. " Il y fit occuper leur place à Anu, Enlil et Ea ". Ce Ciel abrite tous les dieux, principalement les dieux cosmiques, personnifications des diverses parties d'un cosmos en devenir. Il préfigure l'accomplissement de l'œuvre en gestation : partie supérieure de l'univers, il est déjà la représentation de la totalité. Il est conçu comme l'image en miroir de l'Apsu, le palais du monde inférieur, tout comme Babylone, qui se situera sur le plan médian du cosmos et au cœur du monde sera à son tour érigée selon le modèle de l'E. Sara.
Ayant crée la représentation de l'espace, le démiurge dote les constellations et les astres d'un mouvement régulier qui anime le cosmos. En d'autres termes il crée le temps, trajectoire du monde dont il réglemente la durée.
" Il y suscita en constellations
Les Etoiles qui en sont les Images.
Il définit l'Année,
Et pour les douze mois,
Il suscita à chacun trois Etoiles...
Il fixa la Station de la Polaire pour définir la cohésion des Astres
Il établit, jouxte ladite Polaire,
Les Stations d'Enlil et d'Ea...
Puis il fit apparaître Nanna ( Lune )
A qui il confia la Nuit.
Il lui assigna le Joyau nocturne
Pour définir les jours.....
Au premier du mois,
Allume-toi au-dessus de la Terre....
Au quinzième, chaque mi-mois,
Mets-toi en conjonction avec Samas ( Soleil )
Pour qu'au trentième, derechef,
Tu te trouve en conjonction avec lui.
En suivant ce chemin,
Définis les Présages :
Conjoignez-vous
Pour rendre les sentences- divinatoires.
Avec l'autre moitié de Tiamat, Marduk détermine la configuration de la Terre : de ses yeux coulent le Tigre et l'Euphrate, sur ses mamelles s'entassent les montagnes lointaines, d'une boucle de sa queue et de sa croupe, il soutient le Ciel et consolide la Terre.
L'espace et le temps étant crées, Marduk décida la création de l'homme, pour que " sur lui repose le service des dieux, pour leur soulagement "
* L'anthropogonie.
Marduk délègue à son père Ea le soin de créer l'homme, ambigu, d'argile et de sang divin, dont la vie s'inscrit dans les limites de l'espace et du temps, qui est mortel, mais qui se reproduit socialement. L'homme est l'artisan de la pérennité du monde et il est créé pour assurer le culte des dieux, sans lequel ils ne peuvent vivre.
Marduk dit à Ea :
" Je vais condenser du sang,
Constituer une osssature
Et susciter ainsi un Prototype humain
Qui s'appellera " Homme " !
Pour que lui soient imposées les corvées des dieux
Et qu'eux soient de loisirs "
Ea se fit livrer le dieu Qingu qui avait poussé Tiamat à la révolte. " On le saigna, et de son sang Ea produisit l'Humanité ".
Alors, Marduk, le Roi glorifié, répartit les dieux dans leurs domaines. Le Ciel à Anu qui prend en charge les Anunnaki au complet, la Terre à Enlil, l'étendue des Eaux à Ea. Pour glorifier Marduk, leur Seigneur, les dieux Anannuki lui proposent de construire un Sanctuaire. " Faites donc Babylone !" dit-il. Les Anannuki creusèrent le sol, moulèrent des briques, élevèrent le faîte. Ils construisirent de même la haute Tour à étages de ce nouvel Apsû et ils y aménagèrent un Habitacle pour Anu; Enlil, et Ea.
" Alors, en majesté,
Il vint prendre place devant ces derniers
Depuis le pied de l'Esara ( Temple universel )
On en pouvait contempler le pinacle !.....
Le Seigneur, dans le Lieu très auguste
A son Banquet invita
Les dieux, ses pères.
" Voici, leur dit-il, Babylone,
Votre Habitacle et Résidence,
Ebattez vous-y ! Rassasiez- vous de sa liesse ! ".
Puis c'est l'investiture solennelle et définitive, le couronnement de Marduk : les dieux procèdent à l'Oblation, Marduk leur distribue les Stations du Ciel et de la Terre. Les Grands dieux, au nombre de cinquante, prirent place et chargèrent de décisions les Dieux- des Destins, au nombre de sept.
Anu érigea un Trône-royal
Qui dépassa ceux des autres dieux
Et au milieu de l'Assemblée des dieux,
Anu y installa Marduk
Et les Grands dieux unanimes,
Exaltèrent les destins de Marduk
Et se prosternèrent devant lui.
Ils formulèrent d'eux-mêmes
Un serment exécratoire,
Jurant par l'Eau et l'Huile
Et la Main à la gorge,
Ils lui octroyèrent
D'exercer la Royauté sur les dieux,
Le confirmant dans le Pouvoir absolu
Sur les dieux du Ciel et de la Terre. ( Roi des dieux de l'univers entier : Lugal. dimmer.an. ki a. )
Ainsi l'assassinat d'Apsu ouvre la série de " meurtres créateurs ". La cosmogonie est le résultat d'un conflit entre deux groupes de dieux, mais la troupe de Tiamat comporte également ses créatures monstrueuses et démoniaques. La primordialité est présentée comme issue des "créations négatives " : c'est de la dépouille de Tiamat que Marduk forme le Ciel et la Terre. Le Cosmos est constitué d'une double nature. Une matière ambivalente, sinon démoniaque, et une forme divine, puisqu'elle est l'oeuvre de Marduk. La voûte céleste est formée de la moitié du corps de Tiamat, mais les étoiles et constellations deviennent demeures ou images des dieux. La terre elle-même comprend l'autre moitié de Tiamat et ses divers organes, mais elle est sanctifiée par les cités et les temples. Le monde s'avère être le résultat d'un mélange de primordialité chaotique et démoniaque, d'une part, et de créativité, présence et sagesse divines, d'autre part.
La création de l'homme prolonge la tradition sumérienne, mais il s'ajoute un élément important : l'homme est constitué d'une matière démoniaque, le sang de Qingu. L'homme semble condamné par sa propre genèse. Son seul espoir, c'est qu'il a été façonné par Ea. Il possède donc une forme crée par un grand dieu.
Dans la cosmogonie, comme dans l'anthropogonie, il existe une similitude : la matière première provient d'une divinité primordiale déchue, démonisée et mise à mort par les jeunes dieux victorieux.
L'Enûma elis se présente donc comme un ouvrage érudit et didactique, en même temps qu' apolégétique et théologique. Ce texte de toute beauté, construit avec art et rigueur est une savante synthèse de mythes préexistants qui embrasse toutes les interrogations concernant l'univers, le fonctionnement du Cosmos, l'origine de l'homme.
Cette épopée aboutit à la sacralisation de Marduk, dans une glorification extrême. La supériorité absolue de Marduk le légitime dans le rôle de souverain des dieux et des hommes qui est désormais le sien. La présentation de cette toute puissance, avec le culte qui l'accompagne se pose comme une démonstration tendant à l'hénothéisme.
Le Mythe babylonien de la création, qui consacre le triomphe théologique de Marduk, ne doit pas nous masquer l'importance d'écrits antérieurs, dont l'origine est toujours sumérienne, mais que l'esprit et la langue akkadiennes ont enrichis. Le récit du Déluge a un double intérêt. C'est un mythe de la création de l'homme, de la soumission de l'homme aux dieux, de la punition du mal, de la renaissance. Il constitue d'autre part l'origine très lointaine du récit biblique.
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