mardi, août 22, 2006

IDOLÂTRIE ET TOTALITARISME - suite 2

D. Des déviances portant atteinte à la démocratie

La première est la théocratie.

La louable séparation de l'Église et de l'État ne doit pas faire oublier que l'homme ne fait jamais totalement abstraction des opinions religieuses. L'idolâtrie a tôt fait de se profiler. Ceci s'est révélé en Allemagne dès 1935 avec une éthique de l'obéissance et une eschatologie -à l'image de Moise et d'un peuple élu- en reprenant l'archétype de Wotan, dieu nordique. Il sera choisi pour être le souffle mythique du futur millénaire germanique. Wilhelm Hauer créera ainsi le mouvement de la croyance allemande qui tendra à une renaissance des écrits et des traditions de la race germanique et nordique. Ce mouvement on le sait, aboutira à une renaissance quasi mythique de la nation à partir des fondements héréditaires allemands, concrétisée par un livre «Vision allemande de Dieu « tentative de théocratie sans aucun doute, avec transfert idolâtre sur celui qui incarnera bientôt ce souffle « divin », et ce « Gott mit uns» qui balaiera l'Europe entière.

Aussi. quand l'homme .ne recourt pas a la fiction d’une alliance avec Dieu ou aux mythes anciens pour assurer un quelconque pouvoir sous le couvert du retour a un âge d’or, son droit naturel, sa liberté individuelle originelle, comme l’écrit Hobbes dans son « Traité sur le citoyen » (1642), doivent céder la place a un droit civil. Pour vivre en paix et harmonie, il faut abandonner une part de son droit individuel et s'engager à respecter le droit de l'autre en n'abusant pas de sa puissance personnelle. Ce qui semble le plus précieux est cette vie en société ou chacun vit en bonne intelligence, rendant supportable le fait de vivre dans un même monde avec ces éternels étrangers que sont les autres et leur permettant, à eux de nous endurer.

La seconde déviance est la manipulation intellectuelle

L'existence d’une telle forme de civisme devrait prévenir toute tentative de domination intellectuelle tendant à affaiblir toute structure de pensée. Elle peut cependant survenir dans la manipulation de la multitude par les tenants du pouvoir.

Aujourd'hui encore se pérennise le discours idolâtre, qu’il soit politique ou médiatique, avec toutes ses caractéristiques : sacralisation, attitude cultuelle, fanatisme sacrifice par l’abandon a tôt fait de transgresser les lois. Rappelons ce qu’écrivait Montesquieu :

« La vie en société est cadré par les lois qui régissent les actes de tout citoyen de la cité. Elle est réglée tout autant par les mœurs qui mènent les actes de tout homme dans la société »
Qu’on en vienne à transgresser les lois quand on est chargé de les faire respecter, qu'on se joue de ces lois en s'avouant responsable mais non coupable, amène le citoyen au doute voire à la contestation. Fort heureusement, cette défaillance est un certain temps compensée et voilée par le maintien des mœurs et s us et coutumes de la société. «Seule une certaine moralité peut maintenir encore un temps une cohésion devenue fragile». rappelle Montesquieu, ajoutant aussitôt: «Que cette force de liaison que constitue la moralité vienne à disparaître et le moindre hasard va menacer cette société que ne garantissent plus les hommes qui la composent »

Hannah Arendt reprenant cette idée- nous dit alors que les conditions sont remplies pour que l'homme perde non seulement ce que Montesquieu appelle le bon sens, ce sens commun unificateur, mais aussi son droit d’agir politiquement. Disparaissent alors toute recherche du sens comme tout besoin de comprendre, ce qui place l’homme citoyen dans un état de vulnérabilité psychologique. Les repères de l’intelligence ont disparu, les catégories de pensées sont dispersées, les critères de jugement sont flous :
…une logique implacable peut alors être mise en place. Et souligne Hannah Arendt « nous n’avons que trop tendance a la logique comme a un substitut quand nous perdons tout sens commun ».

Ce que nous appelons manipulation intellectuelle prend naissance quand la pensée totalitaire vient pervertir la réflexion sous forme d’un énoncé évident dans sa logique et sa cohérence. Le concept d'existence historique universelle des individus en sera le ferment. Le leurre sera que tout ce qui sera imposé le sera au nom de l'homme et de l'humanité !

Cela suppose corollairement une sorte de lâche abandon du citoyen. Il est sans doute plus facile de s'inscrire dans un système où il n’y a plus besoin de juger quand on e perdu toute envie de juger ! C'est le moment propice où l’on se laisse glisser sur la pente bientôt irréversible du totalitarisme. L’obéissance passive est ce prodrome psychologique du système aliénant, la clef qui intègre l'action individuelle au dessein collectif dicté par l idéologie nouvelle, et qui va générer une soumission inconditionnelle d’un nombre toujours plus grand d’individus banalisant le mal comme l’écrit Hannah Arendt. Et en toile de fond 1’abandon de toute responsabilité .personnelle ira de pair avec la transgression des règles de l’éthique universelle.

Sous 1’emprise du totalitarisme l’important devient vite d’être digne de ce que l'autorité nouvelle attend. Les ordres reçus entrent alors dans un schéma psychologique déprogrammé, avec une telle conviction qu'ils annihilent toute réflexion critique personnelle. L’idéologie, vecteur de cette conviction, situant ses actions dans un contexte élargi, bénéfique et utile pour le bien de l'humanité, rend légitime l'exécution de ses volontés. Plus encore elle scotomise tout esprit d’analyse de l’évidente transgression des valeurs morales dépossédant l’individu et le citoyen de son libre arbitre; comme de sa liberté d’action ou de réaction.

Ici l’autorité agissant sur des tiers obéissants sera d'autant plus persuasive que ceux-ci seront cloisonnés à l’intérieur d’une hiérarchie. La personne placée dessus d’une autre sera en droit de lui imposer les ordres qu’elle aura elle-même reçus. Elle les transmettra à son tour à ceux qui dépendent d’elle. Cette chaine induit un comportement homogène, un conformisme général, à la fois salvateur et rassurant : être identique aux autres en actes dictés comme en pensées induites. Ainsi, chaque maillon obéissants aux ordres reçus ne se sentira t il aucunement responsable de ce qu’il fait. L’autorité supérieure couvre en quelque sorte tous les actes souvent exécutés par devoir ou par routine. Chacun pourra même dans la chaîne n’avoir jamais commis aucun acte directement répréhensible. Ainsi peut-on expliquer, que chez certains hommes, la force de persuasion de l’autorité, l’absence sinon la limitation dune vision globale des choses et l’esprit d'obéissance les amènent au rang de bourreaux!

L’instauration d’un tel schéma de société a pour corollaire une potentialité d'obéissance induite par la perte de toute volonté, de tout sens critique, de tout droit de l'exprimer. Est-ce à dire qu’il s’agit la d’un mécanisme instinctif de survie propre à l'homme, animal de meute par excellence, qui établit une relation de dominant –domine a l’exemple des loups ? En sommes-nous loin quand l’individu se croit engagé vis-à-vis d’une autorité dirigeante, sans pour autant se sentir responsable du contenu des actes commandés par celle-ci, quand le masque n’est que loyauté-devoir-discipline ?

La troisième déviance est l'abandon oui perte de volonté

Cet abandon de tout droit d'initiative est-il synonyme de perte de volonté ? Pour Schopenhauer, qui fait du corps la clef du monde des idées, l'inconscient est la clef de 1’homme, voulant dire par là qu’il vit, se construit et s'affirme par sa volonté de vivre. «C'est dans la volonté qu'il faut chercher l'unique donnée susceptible de devenir la clef de notre connaissance vraie » dit-il mais il ajoute: « l'homme, en même temps se détruit dans sa passion et sa violence, victime volontaire de cette aliénation a ce désir de vivre dont il devient le jouet. Il subit alors son destin qui n'est en fait qu'en lui, ne dépend que de lui. Voudrais-il y renoncer qu'il ne pourrait pas sans perdre cette volonté qui fait son identité «. Car toujours selon Schopenhauer« Toute identité de la personne repose sur une volonté qui ne vieillit pas, qui confère une persistance a son regard sur le monde et jamais ne quitte le noyau même profond, de son être.

Ici cette perte de volonté serait donc une démission a se prendre en compte. Aussi, pour qu’un homme se sente responsable de ses actes, pour qu’il continue à être maitre de lui-même et de son destin, il lui faudrait au contraire prendre conscience que son comportement doit lui être en permanence dicté par son moi profond et lui seul. Il est classique de dire que l’homme est une bête qui abrite en lui des instincts agressifs qui cherchent sans cesse à s’exprimer. Les pulsions agressives auraient tôt fait de surgir dans certaines conditions sous le couvert d’une caution sociale.

Fort heureusement l`individu libre et responsable apprend à les refouler. C'est son surmoi qui lui permet d'apprécier la notion de ce qui est bien ou mal pour tout acte. Car soumis à une autre volonté que la sienne, et seulement dans ce cadre, son surmoi contrôlera seulement sa qualité de fonctionnement. Cette disposition mentale est le danger : inhibant en temps normal toute nuisance à autrui, l'homme peut perdre cette capacité d'inhibition de nuisance dès lors que les actions sont prescrites par l'autorité.

L’état « agentique » écrit Stanley Milgram, constitue la disposition mentale propice aux actes d obéissance. Mais, normalement, cela ne suffit pas, tant la projection du moi interdit tout acte qui viendrait ternir l’image de marque que l’homme tient a avoir de lui même comme des autres. Il faut une autorité directe, ou au contraire diluée dans une hiérarchie telle que nous l’avons décrite, pour que la soumission s’accomplisse dans des actes.

Pourtant l'homme n’est fait ni pour une indépendance absolue, ni pour une aliénation totale. Seule une conscience forte le mettra donc en situation de rupture par la contestation et la désobéissance, acte individuel courageux, véritable résurgence de cette volonté que définissait Schopenhauer et dont il devra alors supporter, solitaire les conséquences.

Aucun commentaire: