La théorie antique du jus naturale, reprise par les Pères de l’Église et saint Thomas d’Aquin, a pour concept clé celui de droit naturel.
L’idée d’une loi non écrite et immuable, plus haute que la loi humaine parce qu’elle aurait une origine divine, est formulée déjà par Héraclite, et l’Antigone de Sophocle en est le célèbre porte-parole :
« Et je ne pensais pas
que tes défenses à toi fussent assez puissantes
pour permettre à un mortel de passer outre
à d’autres lois, aux lois non écrites,
inébranlables, des dieux ! »
La signification ontologique de la loi naturelle.
C’est avec l’élucidation du concept de nature que cette idée de loi non écrite accède à un statut philosophique. Sous ce concept viennent s’expliciter les notions de norme et de normalité que Platon dégage en liaison avec la théorie des idées : une chose est selon la nature lorsqu’elle réalise la conformité à son archétype.
Mais les difficultés d’un monde d’idées, coupé radicalement du sensible, conduisent Aristote à en faire la critique et à élaborer une nouvelle philosophie de la substance où le concept de nature joue un rôle fondamental. La nature intelligible, ou essence, est immanente à l’individu qu’elle informe dans sa structure et dans son agir. La normalité est normativité ; elle consiste à répondre aux exigences de la nature en tendant droitement vers les fins qu’elle implique. Dans cette ontologie dynamique que commande un modèle biologique, toute nature est soumise au changement, qu’elle doit opérer selon sa propre fin, qui est aussi sa perfection. L’analyse du vivant s’opère conformément à la question de la finalité et, pour tout vivant, la finalité consiste à accomplir « sa fonction propre ». Par cette expression est signifiée son existence comme nature vivante par opposition à ce qui est mort et qui n’a plus ni nature ni fonction, puisqu’il est défunt, « de-functus », c’est-à-dire déchargé de fonction. Toute réalité existant dans la nature et, puisque « l’art imite la nature », tout objet artificiel possèdent une normalité de fonctionnement. La loi naturelle dont la notion n’est pas explicitement dégagée est pourtant désormais reconnue. C’est la manière dont les êtres doivent réaliser leur nature, leur fonction, leur fin ou leur bien ; par exemple, pour le vivant, c’est de se mouvoir et de se reproduire selon son espèce : pour l’homme, c’est d’exercer sa raison (Éthique à Nicomaque , VII). Le verbe « devoir » a ici une signification strictement métaphysique et ne prend son sens éthique qu’avec les êtres doués de raison et donc aussi de liberté, lorsque la nature franchit une ligne de crête où se dessine, sur fond de cosmos, un ordre particulier : celui de la nature humaine. À la différence du vivant, perfectible selon une orientation progressive qui connaît un point culminant d’activité puis la régression et la mort, autrement dit une orientation fixe et rigoureusement déterminée, l’homme se détermine à lui-même ses propres fins.
Tout individu humain a donc une dignité naturelle que le stoïcisme thématise, en élaborant la notion de loi naturelle. À l’époque où cette philosophie se développe, la Cité-État disparaît au profit d’une structure impériale beaucoup plus impersonnelle. L’homme prend alors conscience de lui-même comme citoyen du monde et découvre la dimension de l’amitié cosmique et de la fraternité humaine. L’égalité déjà reconnue par Aristote aux seuls hommes libres s’élargit désormais à l’esclave comme à l’étranger. Tous les hommes sont constitués de l’étoffe même du feu divin ; tous sont fils de Dieu et égaux par là même, quelle que soit leur condition sociale. En ce sens, la loi naturelle est aussi loi éternelle, puisque l’homme est, dans le cosmos, « le grand animal », comme une partie dans un tout. L’homme est aussi dans ce rapport de partie à tout quand il s’insère dans le « tout social » qu’est l’empire. Dès lors, s’entremêlent la notion de loi naturelle et la notion juridique de loi propre à une communauté politique, que doit mettre en œuvre la raison et qui donne lieu au droit essentiellement humain (jus gentium ). La loi de nature se trouve définie comme la vraie loi que Cicéron identifie à la droite raison toujours d’accord avec elle-même (Cicéron, De republica , III, 22 ; De legibus , II, 4). Cette loi a un enjeu moral. C’est elle qui nous porte à faire notre devoir, à éviter le mal et à accomplir le bien. Éternelle, immuable, en vigueur en tous temps et chez tous les peuples, elle est la voix même de Dieu. Aucun amendement ne peut lui être apporté, aucune dérogation ne peut lui être accordée. Elle correspond à une obligation absolue. La loi naturelle est en liaison étroite avec la loi qui peut varier d’une communauté politique à une autre. Mais la loi naturelle s’extériorise-t-elle comme par nécessité, et sans médiation, dans l’ordre politique ?
C’est à la mise au point de cette question que Thomas d’Aquin s’efforce de procéder par la distinction entre justice naturelle et justice légale, la seconde étant une application et une détermination contingente et variable de la première. Sous cet angle encore, le jus gentium , droit essentiellement humain, est considéré, à la différence du droit naturel commun aux animaux et à l’homme, comme appartenant dans une certaine mesure à la catégorie du droit positif.
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