lundi, octobre 02, 2006

Le saint Empire Romain Germanique et les deux Frédéric - Suite

La dynastie salienne

A la dynastie othonienne, succède la dynastie salienne dont le premier empereur est Conrad II puis celle des Hohenstaufen dont le fondateur est Conrad III. Son successeur et neveu, Frédéric 1er Barberousse (1122-1190) reconquiert Rome pour le pape Adrien IV qui le couronne empereur en 1155. C'est son petit-fils, Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250) qui donne à cette entreprise sa dimension impériale. Hélas, les Hohenstaufen échoueront dans leur tentative. Le fils de Frédéric II. Manfred assure la régence en attendant que son frère Conrad puisse régner. Mais ce dernier décède à 22 ans : Manfred recueille l'héritage territorial et politique de son père et se fait couronner. Il poursuit la politique de Frédéric et conclut les alliances par mariage avec Aragon et Byzance. Pour Rome qui a vécu en 1054 le schisme orthodoxe c’en est trop. Manfred est trahi par les siens et abattu à 34 ans en 1266.

Ses enfants sont emprisonnés à Castel del Monte. On leur crève les yeux et ils meurent de mauvais traitements. Conradin le fils de Conrad ressemblait beaucoup à son grand-père. Son ambition est de restaurer l’empire et de réunir l'Allemagne et l'Italie qui avaient été séparées. Battu fait prisonnier, il est décapité. Ainsi fut exécutée la sentence papale qui, visant Frédéric II stipulait : -« que l'on extirpe son nom et son corps sa semence et sa progéniture".

La suite sera une longue et lente dégénérescence de l'Empire. Les successeurs des Hohenstaufen vont se retrancher en Germanie. En 1409 apparaît l'appellation "Saint-Empire romain de la nation allemande" qui est courante sous les Habsbourg. L'Empire est délibérément tourné vers l'est. On peut affirmer qu'après Charles Quint - élu Empereur non sans difficultés - l'empire, alors passé sous la tutelle des Habsbourg ne fait plus que péricliter. Il faut dire que !a Réforme l'a scindé en deux entités confessionnelles qui sont en conflit aigu. Si la paix d'Augsbourg met fin au conflit religieux, elle met également fin à l'unité chrétienne dans l'empire. Philippe II, va perdre au profit de son oncle Ferdinand un empire qui se limite désormais l'Autriche.

Quatre siècles plus tard, en aout 1806, François II d'Autriche dissout cet empire millénaire. Frédéric II de Prusse et Napoléon lui ont porté les derniers coups. En 1871 le roi de Prusse Guillaume I s'autoproclama 'Kaiser'. Ce rêve strictement allemand fut comme chacun sait de courte durée. Mais toute référence à la tradition romaine en est absente et il ne constitue en rien une tentative d’une restauration du Saint Empire romain germanique.

Frédéric II de Hohenstaufen

Quel personnage fut Frédéric II Hohenstaufen ! Il est né le lendemain de Noel 1194 de l'union de Henri VI au, l’autoritaire et cruel; empereur d’Allemagne avec Constance de Sicile, au moment ou le monde chrétien célèbre la naissance du Messie. et le monde romain le Sol Invictvs.

Par son père, il reçoit l’héritage souabe et par sa mère l’Italie méridionale sur laquelle règnent les Hauteville d’origine normande. Il recueille la couronne de Lombardie de Germanie d'Italie du Sud et de Sicile. Les Etats pontificaux sont au milieu de ce dispositif.

Il a presque trois ans lorsque son père l'empereur Henri VI meurt en septembre 1197. Sa mère le fait couronner roi de Sicile le dimanche de Pentecôte 1198 à Palerme avec l’aval du pape. Il ne sera fait roi de Germanie qu’en 1212. Constance ne survit pas longtemps à son époux et décède fin novembre 1198 après avoir nommé le pape Innocent III régent du royaume et tuteur de Frédéric. Mais parti souabe revendique la régence et tutelle. Il s’impose en débarquant et occupant la Sicile. L'empire, du fait de la jeunesse de Fréderic, éclate en morceaux.

On comprend pourquoi Fréderic a du se battre, reconquérir et reconstruire.

S'il reçoit une éducation chevaleresque, Frédéric est livré à lui-même. Il bénéficie de l'atmosphère ouverte de Palerme, ville où l'Orient et l'Occident se rencontrent. Les cultures juive, chrétienne et arabe s'y côtoient. Il est libre de ses mouvements, se frotte à divers milieux. II apprend l’'arabe le calcul l'algèbre chez les musulmans. Tout jeune il frappe ses contemporains par son intelligence sa curiosité et surtout sa précocité. Il lit des aventures de chevalerie, s'intéresse à ce que l'on appelait les sciences, bref intègre les bases de sa future culture universelle.

Voilà un autodidacte souvent livré à lui-même qui se frotte aux cultures véhiculées par les trois religions monothéistes. Tout l'intéresse, mais il peut être aussi un -touche à tout" comme l'autre Frédéric. Du califat, il retiendra par exemple la place des savants à la Cour et il fera venir à Palerme des mages des alchimistes, des astronomes des poètes et des savants.

A 14 ans il parle le grec, le latin, le provençal l'arabe, le dialecte de Sicile un peu de français et d'hébreu. L'éloignement de la Germanie explique qu'il ne parle pas l'allemand (comme Frédéric de Prusse). Il place le centre de gravité de ses intérêts à l'ouest en Méditerranée. C'est un prince italien qui passe la majeure partie de sa vie en Italie. Il méprise les Allemands et considère son royaume de Germanie comme un réservoir d'hommes pour ses armées.

A côté des livres il s'instruit sur le terrain : marins, vétérans des guerres d'Italie chasseurs, fauconniers vont compléter sa formation. Et puis il y a les magnifiques jardins de Palerme dont l’architecture peut concurrencer celle des jardins du Maroc ou de l’Andalousie et le palais de la Ziza, édifice haut de trois étages, dont la climatisation naturelle, assurée par un art de construire des techniques égyptiennes et mésopotamiennes, permet la circulation d’un courant d'air frais et humide.

Avant l'heure il préfigure les princes de la Renaissance. Il est « bien meilleur et bien pire » Bien meilleur car il pratique la tolérance religieuse : synagogues, mosquées églises cohabitent. Bien pire car il peut être cruel implacable au combat, sans oublier le reniement de la parole donnée et les comportements brutaux qu'il aura à la fin de son règne

Il peut être aimable et dur poser des actes d'humanité et se montrer particulièrement barbare, se comporter comme un sceptique, admirer l'islam et mourir en Chrétien. Élu Roi de Germanie en 1212 parla Diète, il doit conquérir son royaume entre 1212 et 1215. Cette conquête est nécessaire, car sa couronne de Roi des Romains lui est précisément donnée par les princes allemands. Il a aussi une vision moderne de son empire celle d'un, celle d’un État centralisé.


Couronné empereur en 1220

Couronné empereur en 1220, Frédéric de Hohenstaufen considère que le centre de l'empire est en Italie. Son rêve est de rétablir l'Empire romain et de prendre Rome pour capitale.

Il se voit donc empereur romain et universel, assurant ainsi le bien-être du monde. Dans ces conditions le plein exercice de ses pouvoirs implique de réduire ceux du pape et des puissantes cités italiennes d'alors. L'Empire précède l'Église, ce qui justifie l'autorité de l'Empereur sur le monde manifesté.

La vision papale est tout autre : la souveraineté n'est pas divisible en une souveraineté temporelle et une souveraineté spirituelle. Le pape détient la souveraineté absolue. Par conséquent l’empire relève de la papauté. Le conflit entre le pape et l'empereur devient donc inévitable.

Pressé par le pape Grégoire IX et menacé d'excommunication par ce dernier s'il ne s'exécute pas il part en croisade en 1228. Il négocie un compromis sur Jérusalem avec le sultan d'Égypte Malik ai-Kamil avec lequel il est en relations. Il s entend avec lui - ne dit-on pas sur les conseils de Saint-François d’Assise - et obtient la restitution de Jérusalem mais pour dix ans seulement, et garantit aux musulmans le libre accès aux lieux saints de l'islam, ce qui provoque la colère des Templiers. Il s’y couronne "roi de Jérusalem sans demander l’avis du pape ce qui n'est pas illogique car ce dernier l'avait entre-temps excommunié.

Et paradoxe, ce pape pour l'empêcher d'être roi de Jérusalem essaye de gagner le sultan à sa cause par Templiers interposés mais sans succès.

En fait le départ en croisade de Frédéric II est davantage motivé par son remariage avec Isabelle de Brienne, héritière du royaume de Palestine, que par ses convictions religieuses qui ne sont pas, c'est le moins que l'on puisse dire celles d'un chrétien modèle. L’influence arabe est notoire en particulier celle d'Averroès. Son astrologue. Michel Scott est un traducteur du philosophe islamique et aristotélicien. Elle ne se limite pas à la philosophie, car il a un harem. Il est aussi influencé par le comportement du pape Sylvestre II qui, autrefois fait prisonnier par les Arabes, avait prononcé la shahâda pour obtenir sa libération. Ce pape, astrologue, alchimiste, arabisant, mathématicien, exerce une grande fascination sur Frédéric II. C'est bien le modèle du califat qui l'inspire : empereur et pape sont complices : l'un conquiert les territoires pour permettre à l'autre de diffuser la foi. En son for intérieur. Frédéric est aussi impressionné par la civilisation musulmane brillante à cette époque.

Le modèle Impérial de Frédéric II apparait comme une synthèse ces modèles perse- romain et du califat. L'empereur assure une relation « Ciel Terre ». Sa mission dépend de Dieu, le pape n'étant dans cette affaire que celui qui apporte les sacrements et agit comme notaire de Dieu.

Sur le plan militaire, il constitue une armée de qualité indispensable outil à la hauteur de ses ambitions politiques. Une partie de ses soldats sont même des Sarrasins. Il couvre l'Italie de fortifications et crée une flotte pour assurer la sécurité des côtes. Il met en place une administration, organise la Justice et établit une Cour des Comptes. Bref. il fait au XIII- siècle ce que Frédéric II de Prusse réalisera cinq siècles plus tard.

Le conflit des Templiers

Il entre en conflit avec les Templiers qui ne lui pardonnent pas de n'avoir pu récupérer leurs quartiers d'al-Aksa. Obéissant aux ordres du pape ils fomentent un attentat contre l'empereur et échouent. Il est vrai quai-Kamil avait prévenu Frédéric... En revanche, il s'appuie sur les Teutoniques qui d'ailleurs lui rendent hommage lors de son couronnement à Jérusalem. Frédéric II favorise leur essor. Ces moines chevaliers ont fourni un support logistique aux Croisades, attribué de l'importance à la littérature aux arts et géré un patrimoine colossal. Ils soutiennent Frédéric dans ses campagnes militaires en Italie. Après la défaite de Saint-Jean-D’acre (mai 1291), n'ayant plus de frontière orientale à défendre pour préserver les Lieux Saints ils s'établissent principalement dans les marches de l’est européen de l'empire.

Frédéric II meurt terrassé par une dysenterie à cinquante-six ans, le soir du 13 décembre 1250. En mourant, le Staufen récite le Credo. Il est inhumé dans la cathédrale de Palerme enveloppé dans une dalmatique blanche sur laquelle est brodé en fil d’or un verset du coran.

Fréderic de Hohenstaufen est bien le plus brillant, le plus complexe et le plus controversé des souverains du Saint Empire. A son épitaphe a été rajoutée par une main inconnue une sentence qui caractérise les fruits ce son action : VIVIT ET NON VIVIT (il ne vit plus et pourtant il vit encore).

Frédéric Il de Prusse

Faisons un bond de cinq siècles dans l'histoire et quittons l’Italie pour la Prusse. Frédéric II, dit le Grand, est né le 24 janvier 1712. Il règne ce 1740 a 1786. C'est un étrange personnage, a la jeunesse mouvementée, opposé a la main de fer de l'éducation paternelle. Son ne lui pardonnant pas une fugue le fait même emprisonner et condamner à mort pour désertion. Son compagnon a moins de chance et est exécuté devant lui.

Jeune efféminé, piètre poète, misogyne, humilié par son père il est heureusement protégé par sa mère. C’est d'elle qu’il héritera son gout des Lumière, apprenant à fréquenter des écrivains et les artistes. Il croit en la suprématie de la raison et se tourne vers le scepticisme. Lorsqu'il monte sur le trône royal, il devient un autocrate.

Comme outil de sa politique extérieure, il utilise et développe la solide armée que lui a léguée son père. La force militaire lui permet d’étendre les limites de soir royaume. Surnommé plus tard « le vieux Fritz » ce monarque débute son règne par la guerre de succession d’Autriche (1740-1748). Il s'empare de la riche Silésie et défait la suprématie autrichienne. En faisant la guerre aux Habsbourg à l'empereur d'Autriche il affaiblit ce qui reste du Saint-Empire germanique. Puis vient la guerre de Sept ans (1756-1763) contre la France, la Saxe et l'Autriche.

La Prusse en sort fragilisée, subit la défaite de Kunersdorf et Berlin sera même occupé par les troupes russes.

Heureusement que la tsarine Elisabeth décède en 1762 et que le nouveau tsar Pierre II, grand admirateur de Frédéric II renverse les alliances. Les droits de Frédéric II sur la Silésie sont confirmés et en partageant le royaume de Pologne avec la Russie et l'Autriche, il va réussir à étendre ses possessions vers l'est.

Frédéric II règne en «despote éclairé » :il supprime la corvée, abolit la torture dès le début de son règne, codifie le droit, lève partiellement la censure, fonde une école d'instituteurs, restaure l'Académie des sciences. Roi philosophe, ami des écrivains et des savants il attire à sa cour quelques beaux esprits dont Voltaire. Sa correspondance avec ce dernier se prolonge pendant 24 ans.

Frédéric II donne son avis sur tout et les faits viennent parfois lui donner tort.
Philosophiquement c'est un déiste Il a une vision du Christ pour le moins peu chrétienne : « Un juif de la lie du peuple dont la naissance est douteuse… ».

Il ne faut dès lors pas s'étonner que des ecclésiastiques annoncent sa mort en affirmant qu'il est allé au Diable. Ses relations avec la papauté sont mauvaises. Il est vrai que la Prusse ayant autrefois appartenu à l'Ordre Teutonique est considérée par Rome comme un bien de l’Église.

La fin de son règne est marquée par la dégradation de la situation sociale. La fin de sa vie est obscurcie par une longue maladie qui l’emporte en aout 1786. Mais la Prusse est devenue une puissance européenne. C'est sur cette base que s’édifie au siècle suivant l'unité allemande.

Les deux Frédéric, leurs points communs et leur héritage

Les deux Frédéric ont été des personnages hors norme admirés détestés. Le premier, le Staufen a su recueillir l'héritage impérial romain et au travers de ce dernier le macédonien, l'égyptien et le perse sans compter la vision musulmane du califat. Pourtant comme empereur il n'a pu, pas plus que ses successeurs assurer la pérennité du rêve impérial. Sa vision d'un pouvoir détenu directement du Principe et non du pape, lequel ne joue plus dans cette affaire qu’un rôle de notaire ne pouvait qu'engendrer un conflit avec Rome.

La vision impériale "Ce que Dieu est au Ciel l'Empereur l'est sur terre" débouche sur une vision sacrée du monde, d'unité des peuples et de la société, si bien que, même défait militairement par les musulmans en Palestine Frédéric de Hohenstaufen leur garde une place dans son empire. En même temps, la multiplicité garantit la société impériale contre une uniformité sclérosante, le contraire de l'Unité. La confrontation de l'empereur et des papes s'est terminée par la défaite du parti gibelin. On peut reprocher aux empereurs ou à d'autres souverains d'avoir trop voulu se mêler des affaires pontificales, en particulier lors des conclaves. Mais les papes ont de leur côté considéré de façon très abusive leur mission de charge des âmes en la transformant en un véritable pouvoir temporel. Le Staufen n'a pas été le seul souverain à avoir cette vision. Souvenons-nous d'un personnage qui n'est pas suspect : le futur Saint-Louis. II contra le pape Innocent IV qui voulait déposer l'empereur en déclarant : "Aussi puissant et respecté qu'il soit le pape n'a pas le droit de déposer un roi.

Tout monarque est sur son trône en vertu du droit divin et le droit divin est supérieur au droit apostolique que le pape détient en tant qu’héritier de saint Pierre. Comme le Staufen, Fréderic de Prusse fut un esprit curieux et il est en outre l’héritier du siècle des Lumières.

A l'agonie de ce qui reste du Saint-Empire romain germanique, il assure l’héritage du contenu traditionnel en signant l’acte de naissance du Saint-Empire spirituel.

Autre point commun : les deux Fréderic ont préfiguré un monde en devenir.

Le Staufen n'est plus un souverain du Moyen Age mais pas encore tout a fait un prince ce la renaissance italienne. Frédéric ce Prusse annonce le dix neuvième siècle allemand. Tous deux ont manifesté une curiosité, une ouverture au monde extérieur et ils s ont été attirés par les artistes, les écrivains les savants ou les sciences.
Tous deux ont été en butte à l’hostilité de la Papauté.

Tous deux ont su prendre appui sur l'existant, le Staufen en vivant la synthèse des trois traditions monothéistes, le Prussien, en réorganisant en un système formel et structuré la transmission. Ils ont chaque fois puise aux sources pour se projeter dans une vision supérieure, porteuse d’avenir.

De la fin de l'empire à la restauration du Saint-Empire

Le dernier empereur du Saint-Empire rang r germanique. François II d'Autriche (1768-1835), couronné en 1792 roi de Bohème, roi de Hongrie et Empereur romain germanique, est vaincu à trois reprises par Napoléon. Il cède successivement à la France : la Belgique la Lombardie la Vénétie l'Istrie, la Dalmatie. Il doit reconnaître la Ligue du Rhin, ce qui l'amène à renoncer à la couronne du Saint-Empire en 1806. Avait-il le droit d'en prononcer la dissolution ? On peut se poser la question. Mais l'empire millénaire créé par Othon l" en 962 ayant perdu ses références traditionnelles, est dégénéré et en ruines. L’empire est définitivement défunt (défunt signifie avoir accompli sa fonction) place au Saint-Empire spirituel.

Comme le disait le regretté Guillemain "Deux traditions l’une politique l'autre spirituelle du Saint Empire ont coexisté ».
Le Saint-Empire politique est définitivement mort, même si certains adeptes de la construction européenne voient actuellement en cette dernière une tentative de sa restauration.

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