dimanche, juillet 02, 2006

JAPON - Un rituel funéraire en voie de disparition

Dans certaines îles du Sud, on continue à exhumer et à laver les os des défunts. Mais cette pratique est menacée par le développement de l’incinération.

Le 26 avril dernier, sur l’île de Yoron, l’une des plus méridionales du Japon, a eu lieu le rituel de la purification des os – l’occasion, pour les familles, de retrouver leurs morts en déterrant leurs os et en les lavant. Un peu après 6 heures du matin, sept membres de la famille de Sachiko Hayashi, décédée en décembre 2001 à l’âge de 78 ans, se sont réunis dans le cimetière, au sommet d’une colline. Le neveu de la défunte, Kuniyoshi Hayashi, 54 ans, son frère aîné, Sairyo Fumoto, 59 ans, et le reste de l’assistance se sont agenouillés devant la tombe, ont déposé des offrandes de saké, de sel et de riz, et ont adressé cette prière : “Nous allons maintenant porter le premier coup de pelle. Faites que nous puissions vous offrir une magnifique cérémonie.”

Une fois terminée la cérémonie shintoïste Jichinsai [d’hommage à la divinité de la terre du lieu en question], la famille a démonté le ganbuta, une cabane posée sur le sol sablonneux, et s’est mise à creuser à l’aide d’une pelle. Après avoir retiré de 50 à 60 centimètres de terre, on a commencé à apercevoir le bois légèrement pourri du couvercle du cercueil, que quatre hommes ont ensuite enlevé. Cinq ans après sa mort, la famille “retrouvait” Sachiko. Kishisumi Motoi, l’organisateur, a levé une coupe en l’honneur de Sachiko et arrosé de saké le couvercle de l’urne funéraire dans laquelle allaient être déposés les os. Le jour précédent, lors de la veillée à laquelle avaient assisté une quinzaine de proches de la défunte, Kimi, sa sœur aînée, s’était exclamée : “Quand je pense que je vais la retrouver demain, je ne tiens plus en place !”

La première cérémonie de purification des os à laquelle Kimi ait assisté remonte à l’école primaire. On lui avait alors remis le crâne de sa grand-mère, que l’on venait tout juste de déterrer. Ses mains “s’étaient mises à trembler d’effroi”. Mais, au moment de le déposer dans l’urne, elle l’avait serré très fort sur son cœur. Lorsqu’on voit les os d’un être cher, des souvenirs de son visage et de son corps remontent à la mémoire, explique-t-elle, avant de rappeler que “rencontrer à nouveau le défunt, c’est la raison d’être de ce rituel”.

Les os de Sachiko étaient devenus brun foncé. Quand M. Motoi a saisi le crâne, Kimi, incapable d’attendre davantage, a tendu les mains. Abritée du soleil par un parapluie noir, elle l’a déposé sur ses genoux, puis l’a plongé dans l’eau et en a nettoyé les cavités à l’aide d’une brosse. Après l’avoir séché avec une serviette en papier, elle a passé les doigts sur la surface comme pour s’assurer de sa rondeur. M. Motoi a aligné ensuite les os un par un sur une bâche bleue. “Ça, c’est l’os de la hanche, ça, les vertèbres, et là, les côtes… Comme elles sont fines !” Une fois lavés, les os ont été déposés dans l’ordre, en commençant par ceux des pieds, à l’intérieur de l’urne, un récipient de terre cuite peint en bleu d’environ 80 centimètres de haut et dont le fond est percé de trois orifices pour permettre aux divinités d’entrer et sortir. Comme le veut la coutume, trois kamiginu [kimono sacré en tissu blanc] confectionnés par trois femmes et trois serviettes blanches ont été posés sur les os, puis M. Motoi a remis le couvercle en place. Le caveau de la famille comportait sept urnes. Lorsque celle de Sachiko a été déposée en bout de rangée, Kimi a séché discrètement ses larmes. “On peut dire que la purification des os est la rencontre suprême avec le défunt”, explique M. Fumoto en enlevant le sable de ses vêtements.

Depuis l’ouverture d’un crématorium dans le sud de l’île, à l’automne 2003, le nombre des enterrements a fortement baissé, alors que celui des incinérations est passé de 23 en 2003 à 68 en 2004 et 76 en 2005. Selon Noriyuki Kondo, qui enseigne l’anthropologie médicale à l’université chrétienne d’Okinawa et qui connaît bien l’histoire de ce rituel, “la purification des os finira par disparaître. Mais le sentiment d’être protégé par ses ancêtres et d’avoir leur esprit chez soi reste fermement ancré dans la nouvelle génération. Les jeunes qui accomplissent ce rituel demeurent nombreux et, même lorsqu’il aura disparu, les habitants de l’île continueront à rendre un culte à leurs ancêtres.”

Courrier international - n° 817 - 29 juin 2006
Yu Miyaji
Asahi Shimbun

1 commentaire:

Anonyme a dit…

bonjour,
bien sur pour le lien alex sur bleuazur